
Laurent Bàn: de la scène à la toile, un voyage entre la Chine et la France
Il a une voix chaude et profonde, parle à une vitesse impressionnante, et incarne avec brio une multitude de rôles dans les grandes comédies musicales françaises. Certains spectateurs le surnomment « l’homme qui porte à lui seul la moitié du théâtre musical français ».
Le 16 avril, Laurent Bàn a été interviewé à Beijing. (Photo : Lydia WANG)
En Chine, il est affectueusement appelé « le Vieux Vol(Lao Hangban)» — un jeu de mots né de la prononciation de son prénom, proche de celle de cette expression en mandarin, et de ses fréquents allers-retours entre la France et la Chine. Un surnom devenu sa signature sur Internet.
Un surnom d’autant plus justifié que son emploi du temps est aussi chargé qu’un véritable planning de vols internationaux : à peine a-t-il terminé sa prestation dans la comédie musicale chinoise Le jour le plus long à Chang'an (The Longest Day In Chang'an), qu’il entame une tournée solo à travers dix villes chinoises. Et sitôt la tournée achevée, il inaugure sa propre exposition de peinture…
Par un après-midi printanier d’avril, nous avons rencontré Laurent Bàn pour une interview exclusive. Il y raconte son « voyage artistique »entre la France et la Chine, entamé il y a plus de vingt ans, et revient sur sa quête artistique en tant que « conteur d’histoires ».
Décollage : du rêve de peintre au conteur sur scène
Avant de devenir le célèbre « Vieux Vol », le jeune Laurent rêvait de devenir peintre. Mais à 17 ans, une représentation de fin d’année scolaire bouleverse sa trajectoire :l’adrénaline provoquée par l’interaction immédiate avec le public lui procure une sensation intense et inoubliable.C’est là, sur scène, qu’il comprend où réside sa véritable vocation.
Fortement influencé par la comédie musicale francophone Starmania, il se lance dans cette voie en 1991. De Phoebus, le séducteur insouciant de Notre-Dame de Paris, à Salieri, rongé par la jalousie dans Mozart, l'opéra rock; du Fantôme torturé de Le Fantôme de l’Opéra au Génie malicieux d’Aladdin, il incarne des personnages aussi variés que marquants.
Ce qui le passionne, c’est précisément de pouvoir prêter vie à des figures très éloignées de lui-même.
«Je ne me considère pas seulement comme un acteur ou un chanteur, » dit-il, « mais comme un conteur d’histoires. » Son ambition : emmener le public, le temps d’un spectacle, dans des mondes multiples, et leur faire vivre autant de vies différentes.
Pour incarner une galerie de personnages aussi variés, Laurent Bàn se pousse sans cesse au-delà de ses limites : il apprend de nouvelles techniques vocales, prend ou perd du poids selon les rôles, s’initie au flamenco pour Don Juan, joue en mandarin dans Le jour le plus long à Chang'an, ou cumule les casquettes – acteur principal, producteur exécutif et directeur du casting – dans Napoléon. Ce perfectionnisme lui a d’ailleurs valu un surnom affectueux de la part de ses fans chinois : « le roi du travail du théâtre musical français ».
Laurent Bàn et les invités de la tournée : Maeva Meline, Dvaid Bàn et Yanis Richard (de gauche à droite).
Il se décrit lui-même comme un « hard worker», mais son engagement dans la vie ne l’est pas moins. Pour rester en contact avec sa famille restée en France, il veille régulièrement jusqu’à trois ou quatre heures du matin, bravant le décalage horaire. Très actif sur les réseaux sociaux chinois, il prend soin de répondre personnellement aux messages des fans. Même en pleine tournée, il trouve le temps de voir à d’autres spectacles ou d’emmener son équipe gravir la Grande Muraille.
Pour lui, tout cela n’est pas une contrainte, mais un plaisir : « C’est ma quête : je cherche toujours quelque chose de plus difficile, de ne pas rester dans ma zone de confort, et au contraire d’aller explorer, voyager, découvrir de nouvelles choses et toujours m’épanouir. »
Navigation : témoin et acteur du marché franco-chinois de la comédie musicale
En 2005, Laurent est venu pour la première fois en Chine pour y donner une représentation. Depuis, il n’a cessé de faire des allers-retours entre la France et la Chine. Pourquoi les comédies musicales françaises séduisent-elles un public chinois de plus en plus large ? Selon lui, la culture française exprime l’amour et la passion avec intensité et spontanéité. Pour des spectateurs chinois, souvent plus réservés dans l’expression de leurs émotions, assister à un spectacle devient une façon de s’évader du quotidien, de ressentir et de libérer pleinement leurs sentiments : « Pour le public chinois, regarder un spectacle, c’est un peu comme une respiration de l’âme, une libération émotionnelle. »
Il se dit profondément touché par l’enthousiasme du public chinois, mais encore plus impressionné par sa sensibilité : les spectateurs remarquent les moindres détails qu’il a soigneusement intégrés dans son jeu — la couleur de ses cheveux, son style vocal, voire même le changement de ses lentilles de contact — et aiment en discuter avec lui. « J'aime que ce ne soit pas juste un spectacle joli avec de belles couleurs et des effets spéciaux, mais aussi une histoire avec des significations profondes », confie-t-il. Cette interaction sincère et approfondie avec le public le rend particulièrement heureux.
Laurent Bàn dans la comédie musicale chinoise Le jour le plus long à Chang'an. (Source de l'image : Compte des réseaux sociaux de Laurent Bàn)
Il est également témoin de l’essor du marché chinois de la comédie musicale, depuis ses premiers balbutiements jusqu’à sa pleine expansion. « En vingt ans, la Chine a trouvé sa propre voie dans le domaine de la comédie musicale, en formant de nombreux artistes talentueux et en créant des œuvres remarquables », dit-il avec admiration. Il ne tarit pas d’éloges sur ses partenaires de scène et les chorégraphes de Le jour le plus long à Chang'an, et cite avec enthousiasme d’autres comédiens-chanteurs qu’il a découverts dans diverses productions. « Et ça, c'est un truc très chinois…en Chine, on ne lâche pas tant qu'on n'a pas réussi à aller au bout de ce qu'on veut faire : on ne lâche pas l'affaire, et c'est une qualité. »
En comparaison, le marché français de la comédie musicale a dépassé son « âge d’or ». Avec l’évolution des politiques culturelles et de la conjoncture économique en Europe, Laurent reconnaît que les ressources et les opportunités se réduisent sur le territoire national.
À ses yeux, le marché chinois d’aujourd’hui est porté par une dynamique très positive : un public enthousiaste, une énergie créative débordante, et surtout, de vraies opportunités pour les jeunes talents. Il remarque aussi que « le public chinois peut parfois se montrer plus critique envers les artistes locaux », mais il estime que cette forme de pression est bénéfique : « C’est précisément cette exigence qui pousse toute une industrie à tendre vers les standards internationaux. »
Il se dit particulièrement impressionné par les progrès fulgurants de la technologie scénique en Chine. Lors d’un passage à Xi’an entre deux dates de tournée, un spectacle l’a profondément marqué : « Il faisait appel à des technologies de pointe extrêmement avancées, tout en conservant une forte dimension poétique et philosophique. » Cette expérience a éveillé en lui de nombreuses envies de collaboration :
« …donc je disais que mon rêve serait de réussir à travailler en Chine avec les créateurs et les artistes de ces spectacles-là, pour développer de nouvelles collaborations franco-chinoises. Pourquoi pas en utilisant leurs technologies, leur poésie et, en même temps, l'identité française ? Je suis sûr qu'il y a des choses magnifiques à créer en combinant ces deux univers. »
Arriver : en guérissant les autres, il se guérit lui-même
Fin avril, il a inauguré à Shanghai sa toute première exposition personnelle, intitulée Moi. Bien qu’il soit connu pour sa carrière dans la musique, il n’a jamais cessé de dessiner dès qu’il en avait l’occasion.
« Parce que quand on est artiste, on essaie très souvent de guérir des blessures que l'on a en soi depuis l'enfance », confie-t-il d’un ton léger.
Ses fans le savent : son enfance n’a pas été facile, et sa vie a été marquée par des épreuves soudaines. La scène lui a offert un moyen de se réparer. Et au fil des concerts, une évidence s’est imposée à lui :
« Et par le biais de la scène, on réussit justement à communiquer cette guérison, et parfois à guérir aussi celui qui écoute — le spectateur. »
Le panneau d'affichage préparé par les fans chinois pour célébrer la tournée.
La tournée chinoise qu’il vient d’achever a été, selon lui, un véritable processus de guérison mutuelle. Placée sous le thème L’Envol, elle s’inspire du surnom affectueux que ses fans lui ont donné : « le Vieux Vol ». À travers ce voyage musical, il souhaitait emmener le public sur les traces de sa propre trajectoire de vie. De la scénographie au choix des morceaux, en passant par les invités, tout a été pensé dans les moindres détails.
« Cette tournée a eu une signification très particulière pour moi », confie-t-il. Malgré un rythme intense — changer de ville presque chaque jour, remonter le décor, répéter, monter sur scène — ce qui l’a porté à chaque représentation, c’est cet échange d’émotions « vraies et pures » avec le public.
« Leur ferveur, leur sincérité… c’est ce qui me donne la force de continuer. »
Pour lui, revisiter les morceaux les plus marquants de sa carrière revenait à revivre, étape par étape, son propre cheminement.
« Après chaque concert, je reçois des messages sur les réseaux sociaux. Certains me disent qu’ils ont puisé de la force dans mes chansons, qu’ils s’y sont reconnus. Il y en a même qui m’écrivent qu’en assistant à mon concert, ils ont retrouvé l’espoir. »
Il ajoute :
« C’est là que je réalise que tout ça a du sens. Et j’espère, à travers ces histoires, dire à ceux qui m’écoutent : peu importe les turbulences, tant qu’on ne renonce pas, le jour de prendre son envol finit toujours par arriver. »(Par Lydia WANG)
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