[Pékin explorateurs] Flâneries en Chine - Le jardin Bussière

1697546389579 Le 9 Rémi Anicotte

Personnage historique qui traversa la première moitié du XXe siècle en Chine, le docteur Bussière y laissa des témoignages de sa vie, et aussi le souvenir de son courage et de son action en faveur de relations constructives entre la Chine et la France.

Le docteur Jean Jérôme Augustin Bussière (1872-1958) est connu en Chine sous le nom de Bèi X贝熙业. Il arriva à Pékin en 1913, à l’âge de 41 ans, comme médecin de la Légation de France, puis comme directeur de l’Hôpital Saint Michel ouvert en 1902, après une carrière déjà longue au Sénégal, en Inde et au Tonkin. Il participa avec Li Shizeng et Cai Yuanpei à la création et au fonctionnement de l’Université franco-chinoise, en tant que médecin, professeur, et membre du bureau. Il fut également doyen de l’Université Aurore de Shanghai. Il était le médecin du programme Travail-Étude fondé par Li Shizeng qui permit à Zhou Enlai et à Deng Xiaoping de partir en France, hors du cadre de l’Institut franco-chinois de Lyon. En 1916, il fut appelé au chevet de Yuan Shikai, le dirigeant du gouvernement de la République de Chine, mais il ne put le sauver d’une fatale crise d’urémie.

Dans les années 1930-40, il passa armes et médicaments aux résistants chinois qui luttaient contre l’occupant japonais. En 1953, le bon docteur, veuf depuis 1923, convola en secondes noces avec Ou Seu Tan (Wú Sìdn 吴似丹, 1924-2013). Il cumulait 81 printemps, elle en avait 29. L’année suivante, sur fond de guerre d’Indochine, il fut expulsé de Chine, et il construisit une maison à Châteauneuf-les-Bains dans le Puy-de-Dôme, pour lui, son épouse, et leur fils Jean-Louis.

Les lieux du docteur Bussière au cœur de Pékin

Les vestiges (non accessibles) de l’Hôpital Saint Michel : sur la partie ouest de la rue Dongjiaominxiang (Dōng jio mín xiàng 郊民巷). Cet établissement avait été fondé en 1902, bien avant le Peking Union Medical College Hospital (Běijng xiéhé yyuàn 北京协和医院), établi en 1921 par la fondation Rockefeller.

Sa cour carrée traditionnelle : à l’ouest de l’actuel centre commercial Central Plazza de Wangfujing (Wáng f zhng huán 王府中环). Les murs furent rasés par le promoteur immobilier, et un espace culturel fut construit à la place. Là, le docteur Bussière tenait salon, recevant des sinologues, des grands noms des études mongoles et tibétaines, et d’autres célébrités en poste ou de passage à Pékin : le poète et diplomate Saint-John Perse, Teilhard de Chardin (l’un des découvreurs de l’anthropopithèque de Zhoukoudian), Alexandra David-Néel, Gustave-Charles Toussaint (le traducteur du Dict de Padma), Swen Hedin, l’abbé Henri Breuil, Lévy Bruhl, le mathématicien Paul Langevin, Jacques Reclus, Jacques Guillermaz, André d’Hormon (l’un des traducteurs du Rêve dans le Pavillon rouge) , Henri & Hélène Hoppenot, Paul-Émile Naggiar, etc.

Le jardin Bussière sur les collines de l’ouest de Pékin (ouvert au public)

Le docteur Bussière acquit une gorge dans le cadre bucolique des Collines de l’ouest (Xī shn 西山). Il y bâtit, en 1923, un fort, qui servait de dispensaire médical, et deux villas. L’ensemble s’appelle désormais le Jardin Bussière (Bèi ji hu yuán 贝家花园).

© Rémi Anicotte

J’ai visité ce lieu à deux reprises, en mars et en avril 2021. À mi-hauteur du chemin qui grimpe vers l’intérieur du site, le promeneur arrive au pied d’un fortin en pierres taillées, caché par le relief et la végétation. Il s’élève sur trois niveaux, avec deux terrasses et des lucarnes d’archers carrées. Il imite les défenses de style tibétain construites aux Collines Parfumées (Xiāng shn 香山), en 1748, sous le règne de l’empereur Qianlong afin d’entraîner ses armées, avant de les envoyer à l’assaut de la région de Ngawa sur les contreforts himalayens.

Au-delà, le sentier se mue en chemin mémoriel avec une succession de panneaux évoquant les 41 ans que le docteur Bussière passa en Chine. S’y voit notamment une évocation de l’excursion, entre les 10 et 22 mai 1920, de Pékin jusqu’à Ourga (Oulan Bator) en passant par Kalgan (Zhangjiakou) et retour, en Buick découverte à travers le désert de Gobi.

Puis viennent des clichés du docteur à bicyclette, dans les années 1930-40, quand il passait des armes et des médicaments aux combattants chinois résistant contre l’envahisseur nippon.

Plus haut, le sentier débouche sur une fontaine asséchée et des tonnelles devant la villa nord, une construction de briques et de pierres taillées, avec deux niveaux reliés par des escaliers extérieurs asymétriques. Le bâtiment est couvert d’un toit incurvé chinois, soutenu par des piliers en bois vernis, eux-mêmes surmontés d’une charpente décorée de peintures traditionnelles.

Au rez-de-chaussée, se trouve un cabinet médical avec un bain, un salon équipé d’une cheminée, un escalier de service comme un passage secret à l’intérieur des murs, et un ameublement de style occidental dans toutes les pièces. Plus loin, se trouve la bâtisse sud qui dispose d’un jardin d’hiver surmonté d’une verrière, une cave, et un parterre offrant un panorama époustouflant.

Aux alentours du Jardin Bussière se trouvent :

Le tombeau de Yixuan (Yìxun 奕譞, 1840-1891), le prince Chun.

Le kiosque de l’amitié franco-chinoise qui évoque le séjour de Saint-John Perse à Pékin de 1916 à 1921.

Rémi Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est directeur de China Intuition, société implantée à Pékin.

Photo du haut : Plaque à l’entrée du jardin Bussière et le bâtiment du dispensaire médical en forme de fort dans le jardin. © Rémi Anicotte

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