
Mo Yan : « Littérature et charité sont toutes deux issues de la compassion »
Le 28 mars 2022, Mo Yan publiait un article sur son compte WeChat officiel intitulé « L'événement le plus mémorable auquel j’ai participé cette année ». « Bonjour les amis, je suis Mo Yan. Pendant le Nouvel An chinois de cette année, je pense avoir fait quelque chose de précieux et de significatif, et cela a également prouvé mes capacités dans certains domaines », peut-on lire sur le billet.
L'événement
mentionné par Mo Yan ? Une collaboration avec la China Charity Federation.
Sur le thème du Nouvel An chinois, il a réalisé 105 calligraphies du caractères
« fú » (
On ne se vante pas de ses vertus
En réalité, Mo Yan soutient les enfants défavorisés des régions de l’ouest chinois depuis plusieurs années. En tant que premier écrivain chinois à avoir reçu le prix Nobel de littérature en 2012, Mo Yan vit depuis dix ans sous les projecteurs. Face à l'attention des médias, son attitude est plutôt distante et légère. Auparavant, Mo Yan ne parlait pratiquement pas de charité, croyant fermement, selon le dicton, qu’« on ne se vante pas de ses vertus ».
En 2001, Mo Yan accède à la célébrité en remportant le prix littéraire Feng Mu. « Monsieur Feng Mu m'a beaucoup aidé », avait-il déclaré. Mo Yan avait fait carrière dans l'armée, et Feng Mu était son ancien supérieur. L'œuvre qui avait fait connaître Mo Yan – le roman court La Carotte rouge transparente – avait été publiée en 1985 dans le magazine China Writer, nouvellement créé, dont Feng Mu était alors le rédacteur en chef.
Lors de cette remise de prix, il avait reçu une prime de 20 000 yuans. « À cette époque, 20 000 yuans étaient une somme considérable, nos salaires n'étaient que de quelques centaines de yuans », reconnaissait-il. « Mais je pense que cet argent ne devrait pas rester dans ma propre poche, il devrait être donné. »
Il a finalement fait don des 20 000 yuans à la société du journal Procuratorial Daily, où il travaillait après avoir quitté l'armée. À l'époque, le Bureau du Procureur populaire suprême, auquel le journal appartenait, avait aidé à construire une école primaire appelée « école de l'espoir » dans le comté de Xichou, dans la province du Yunnan. L'argent de Mo Yan avait été entièrement utilisé pour la construction de cette école. Pendant son séjour au journal, Mo Yan avait également reçu une allocation spéciale du Conseil d'État d'un montant de 5 000 yuans, qu'il a également donnée à l'école.
En 2014, Mo Yan avait fait aussi don d'un million de yuans de droits d'auteur à la Croix-Rouge chinoise pour aider les enfants atteints de cardiopathies congénitales des régions occidentales de Chine. À cette époque, Mo Yan avait remporté le prix Nobel de littérature deux ans auparavant, et tout ce qui le concernait était devenu sujet de discussion. Un don discret qui n'avait pas fait la une des journaux.
L'idée de ce don remonte à une consultation médicale qu'il avait eue avec le Docteur Hu Dayi, médecin en chef de l'Hôpital populaire de l'Université de Pékin et directeur de l'Institut de recherche sur les maladies cardiovasculaires, pour des problèmes cardiaques. Pendant le traitement, il avait appris que ce médecin renommé avait mis en place un projet spécifique pour aider les enfants atteints de cardiopathies congénitales dans l’ouest chinois au sein de la Croix-Rouge chinoise. « Les paroles du Dr. Hu ont eu une influence certaine sur moi », a déclaré Mo Yan.
Ce projet était devenu une occasion pour Mo Yan de s'impliquer dans des œuvres caritatives. En 2015, Mo Yan faisait de nouveau don de 1,25 million de yuans à ce même projet, l’argent contribuant à soigner 62 enfants atteints de cardiopathies congénitales au Tibet. Mo Yan avait spécifiquement demandé à la Croix-Rouge de ne pas faire de publicité ni de rapport sur le don, de ne pas participer à des activités ni rendre visite aux enfants à l'hôpital. Le processus s'était déroulé ainsi en silence.
« Il y avait aussi un vieux dicton qui signifiait qu'une personne qui fait de bonnes actions ne devrait pas aimer que les autres le sachent, car cela n'a pas de sens », précise l’auteur. Cependant, quelques années plus tard, celui-ci a réfléchi plus profondément à cette question.
Quand la charité devient un acte public
À la
veille du Nouvel An chinois de 2022, Mo Yan et son ami Wang Zhen, président de
l'Association Shu Tong de recherche sur la culture et l'art à Pékin, se sont
réunis pour écrire au pinceau des caractères fú et shòu
Au moment de prendre le pinceau, une idée lui était soudainement venue à l'esprit : pourquoi ne pas écrire un lot de calligraphies et les donner à des organisations caritatives pour les vendre aux enchères, afin de collecter des fonds et continuer à aider les enfants chinois malades ?
« J'ai immédiatement trouvé un terrain d'entente avec Wang Zhen, puis nous avons commencé et calligraphié pas moins de 150 caractères. Nous en avons choisi 100 avec lesquels nous étions satisfaits », confie Mo Yan.
Mo Yan pense qu'il est difficile pour un écrivain de créer un style littéraire, un langage narratif ou un personnage principal complètement différent des œuvres précédentes, ce qui peut provoquer bien sûr un sentiment d'insatisfaction. Cette réflexion se retrouve aussi dans la calligraphie. Pour se débarrasser de l'habitude de l'écriture au stylo, Mo Yan a commencé à pratiquer la calligraphie au pinceau avec sa main gauche, essayant ainsi d'obtenir un sentiment d'étrangeté. « Ma main gauche n'a jamais écrit auparavant, chaque trait est maladroit. Au début, je ne pouvais pas du tout le maîtriser, mais en persévérant, je suis passé de maladroit à habile », confie-t-il.
Dès la fin du premier mois lunaire, Mo Yan et Wang Zhen ont immédiatement contacté la China Charity Federation, et les 100 « fú » sont devenus le point de départ du projet « Cœurs unis de Mo Yan ». Yunnan Baiyao, l’une des plus grosses entreprises pharmaceutiques chinoises, en a acheté les droits d'auteur pour 5 millions de yuans en s'engageant à faire don d’une partie des revenus issus des droits d'exploitation pendant les cinq années qui suivent. 20 millions de yuans de dons sont en outre entièrement donnés au projet caritatif de Mo Yan sous l'égide de la China Charity Federation.
À l'heure actuelle, le fonds a aidé à soigner près de 200 enfants atteints de malformations cardiaques congénitales. Cela a amené Mo Yan à repenser la charité : pourquoi ne pas faire plus avec son pouvoir de persuasion et son influence ? Le jour de la fête des Lanternes en 2022, Mo Yan et Wang Zhen se sont rendus ensemble au sixième centre médical de l'hôpital général de l'Armée populaire de libération à Pékin. Là-bas, un groupe d'enfants atteints de malformations cardiaques congénitales venus du Tibet et du Gansu étaient en train de subir un traitement chirurgical.
« Je me souviens de ce tout petit enfant, probablement un peu plus d'un an, avec sa mère. J'ai tendu la main pour tenir ses petits pieds. Lorsque votre main tient les pieds délicats d'un enfant, un amour instinctif pour l'humanité naît en vous naturellement. » En parlant de ce moment, l'émotion réelle se manifeste sur le visage de Mo Yan, d’habitude calme et détendu. « Obtenir un tel sentiment est un immense bonheur. Suis-je en train d'aider cet enfant ? Ou bien est-ce l'enfant qui m'aide, qui me réconforte, qui me fait penser à la continuité des générations humaines et à la valeur de la vie ? La littérature, c'est écrire sur la vie, sur les gens et sur les émotions. »
Lors du Nouvel An chinois de 2023, Mo Yan a continué à vendre aux enchères ses calligraphies et des poèmes à Rongbaozhai Auction House à Pékin. La maison de ventes aux enchères avait volontairement renoncé à sa commission. Les 898 500 yuans collectés lors de la vente ont été directement versés au projet « Cœurs unis ».
Onze ans après le prix Nobel, que reste-t-il ?
Passionné par l’action caritative, Mo Yan souligne que la charité constitue un « besoin intérieur » mais que sa vie reste centrée sur l'écriture. « Je suis et resterai toujours un écrivain, et tout ce que je fais est lié à l'écriture. »
Le prix Nobel de littérature, c’est toujours un sommet pour un écrivain, mais difficile de dire s'il est aussi une bénédiction pour le processus créatif. « Après avoir remporté le prix, pendant quelques années, j'ai effectivement été très pris et j’ai dû m'occuper d’affaires officielles, admet Mo Yan. Cependant, parfois, lorsque j’étais en réunion, je m’asseyais en retrait, j'ouvrais discrètement mon téléphone portable, et je pouvais ainsi apprendre à m’entraîner à la calligraphie en style cursif ou sigillaire sur mon téléphone. »
En 2015, Mo Yan passe finalement la majorité de son temps à son bureau. « Mon travail principal reste toujours l'écriture. Pour terminer une œuvre, je m'isole relativement de l'extérieur. » Il ressort et peaufine certains matériaux ou ébauches de romans précédents, publie en 2020 le recueil de nouvelles Les gens qui mûrissent tard et, plus tard, plusieurs poèmes modernes tels que « La statue de Neruda ».
En entrant dans sa soixantaine, Mo Yan est animé par un fort désir d'explorer la vie. Par exemple, étudier la calligraphie, parcourir les montagnes et les rivières, ou s'intéresser aux formes d'opéra, d'opérette et de théâtre.
Mo Yan, qui vient d'un petit village du comté de Gaomi, dans la province du Shandong, se souvient avec nostalgie des spectacles qu'il regardait lorsqu'il était enfant. « À cette époque, il n'y avait pas de livres à lire, les pièces de théâtre sur scène, les anciens opéras interprétés par des troupes locales étaient nos manuels, et les regarder était notre plus grande activité artistique et récréative. Ainsi, j'ai un amour naturel pour l'opéra folklorique. Le style et de nombreux éléments du langage de notre génération d'écrivains proviennent également de l'opéra ou sont influencés par celui-ci. » En 2017, Mo Yan publie un scénario d'opéra, Brocart, dans la revue Littérature du Peuple, puis en 2018, il publie L'alcool de sorgho et le scénario adapté du roman La sentence du santal.
« Je me suis engagé auprès de Yu Hua et Su Tong à la maison de Shakespeare au Royaume-Uni, raconte-t-il. Je leur ai dit qu'avant, quand je me tenais à côté d'eux, tout le monde présentait 'l'écrivain Yu Hua, l'écrivain Su Tong, l'écrivain Mo Yan'. Dans quelques années, quand je serai avec vous deux, on dira le dramaturge Mo Yan, pas seulement romancier, je ne suis pas comme vous. Mo Yan sourit. Bien sûr, ces deux-là ont ri froidement, en se moquant de moi. Alors j'écris des pièces, je produis des scénarios, pour leur montrer et leur donner une leçon ! » Certaines personnes définissent Mo Yan comme un écrivain « influencé par le courant du réalisme magique », mais lui pense qu'il devrait être classé parmi les écrivains réalistes. Inspiré par des événements réels, La Chanson de l'ail du paradis a été achevé en 35 jours par Mo Yan. Sa plume en colère y pointe directement vers les bureaucrates au pouvoir qui ignorent les intérêts des paysans.
La pandémie de Covid-19 est également devenue sujet de réflexion pour la création littéraire. Mo Yan le reconnaît : « Face à une telle catastrophe mondiale, je pense que chaque écrivain et artiste y a réfléchit. On peut écrire une nouvelle absurde, une nouvelle super-réaliste, ou même une nouvelle basée sur l’actualité. Chaque écrivain a un brouillon de roman sur la pandémie en gestation dans son esprit, il s'agit de savoir comment écrire, quand écrire et sous quelle forme. » Il révèle qu'il travaille depuis plus de trente ans sur un roman lié à la guerre. « J'ai entendu beaucoup de choses à ce sujet, dit-il en riant, mais je n'ai pas encore fini, je suis toujours en train de me préparer et j'ai déjà amassé une grande pile de livres liés au sujet. »
Bien écrire et terminer ce roman serait son plus grand souhait actuel. « Cependant, je ne peux vraiment pas dire quand. Un sourire malicieux apparaît sur son visage. Je pense qu'il sera fini un jour. »
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photos : More x Joli studio
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