
Wu Zhenhong, première danseuse étoile chinoise au Ballet national du Canada
Depuis, elle a repris l’académie de ballet fondée par ses parents à Vancouver, qui se consacre à la formation des étoiles montantes. Elle a reçu de nombreux prix pour ses réalisations artistiques et ses contributions à la société, notamment l’Ordre du Canada, la plus haute distinction accordée aux citoyens canadiens, et un doctorat honorifique de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle a récemment accordé une interview exclusive à China News à Vancouver, dans laquelle elle raconte comment elle perçoit sa carrière et son succès.
Dans l’univers du ballet classique canadien, il est très difficile pour une Chinoise de devenir première danseuse nationale. Selon vous, comment êtes-vous parvenue à obtenir ce poste ?
Lorsque j’étais au Ballet national du Canada, alors que je sortais de répétition, un collègue de bureau est venu me voir et m’a annoncé qu’il avait consulté les archives pour préparer l’anniversaire de la troupe et qu’il avait découvert que j’étais la première chinoise à occuper le poste de « première danseuse » au sein de la compagnie. J’avoue que je n’y avais jamais pensé. J’espère que je ne serai pas la seule et qu’à l’avenir, de nombreux danseurs principaux chinois se produiront sur les scènes du Ballet national du Canada et du monde entier.
Le ballet est une carrière difficile parce qu’on ne peut se contenter du physique. Il faut avoir une silhouette, un sens de la musicalité, la souplesse, la compréhension, la capacité de s’exprimer sur scène et de communiquer avec le public. Il faut s’entraîner chaque jour, chaque heure, chaque instant, pour parfaire son art. Le ballet est un art occidental. Bien qu’il s’agisse désormais d’un art très international, convient-il aux Asiatiques vivant au Canada, en Amérique du Nord ou en Europe ? Je pense qu’il faut être très dévoué, travailler sans relâche et pratiquer réellement. En ce qui me concerne, je ne suis pas très souple. Je dois sans cesse dépasser mes propres obstacles et continuer à m’entraîner et à me perfectionner.
Certains croient, à tort, que le ballet ne doit s’exprimer que physiquement. Je pense qu’un artiste de ballet ne peut se contenter d’être un danseur. Il doit utiliser son esprit pour trouver le moyen d’incarner son expression unique dans le rôle. Pour cela, il faut observer les performances de nombreuses étoiles de l’histoire du ballet, les absorber et les exprimer par le prisme de sa propre compréhension.
Vous avez déclaré dans des interviews que les Chinois peuvent être victimes de discrimination dans le travail ou dans la vie, mais qu’il ne faut pas que cela devienne une excuse pour ne pas travailler assez dur ou échouer. Pourquoi avez-vous dit cela ?
Je pense que la discrimination existe et que certains peuvent s’en servir comme excuse. Le plus important est de rester réaliste. Ma réussite repose-t-elle sur le fait de me « cacher », d’« éviter » ou de « dissimuler » quelque chose ? Par exemple, si je n’arrive pas à réaliser un mouvement, je décide de ne plus jamais le faire. Je change ce mouvement pour ne plus avoir à le réaliser. Finalement, c’est une façon de me « cacher » derrière mon incapacité. Je l’écarte plutôt que de l’accepter. Je ne pense pas qu’il faille faire ce choix. Il est vrai que la société peut être discriminatoire, mais s’agit-il d’une simple discrimination ou d’une excuse pour pour ne pas être assez bon ? Il faut savoir faire la part des choses.
Après avoir pris votre retraite du Ballet national du Canada, vous êtes devenue directrice de la Goh Ballet Academy, fondée par vos parents. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre entre l’art et les affaires ?
L’art et les affaires sont toujours séparés. Je me « bats » beaucoup, car si nous voulons la meilleure qualité artistique possible, nous avons besoin d’argent à investir. Nous ne dépendons d’aucun financement gouvernemental, mais de la billetterie et des sponsors. Il y a en effet une certaine pression, parce qu’il faut louer des salles de spectacle, inviter un orchestre symphonique et des danseurs étoiles, sans oublier les frais de publicité. C’est ce que j’appelle notre « vie réelle », qui coexiste avec notre « merveilleuse vie imaginaire », sur scène.
Mon exigence fondamentale est de ne pas abaisser le niveau artistique. Il faut avoir suffisamment de talent pour avoir la force, la capacité et les moyens financiers de maintenir la qualité artistique requise. Dans le cas contraire, j’aurais aucun intérêt, ni aucune motivation à le faire. Je veux faire ce qu’il y a de mieux, ce qui touche le plus le public et ce qui correspond à mes critères artistiques.
Vous avez mis en place une bourse d’études pour les jeunes qui apprennent le ballet. Pourquoi ?
Je sais que lorsque des familles d’immigrants comme mes parents arrivent au Canada, elles passent inévitablement par un processus très difficile pour réussir dans la vie. Mes parents m’ont appris qu’il faut aimer les autres et s’entraider. C’est grâce à l’aide qu’ils ont reçue qu’ils ont pu réussir. J’ai vécu la même chose et je suis reconnaissante envers ceux qui m’ont formée et qui m’ont aidée. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir mettre en place une bourse d’études. Beaucoup n’ont peut-être pas les moyens financiers de se lancer dans la danse, mais nous devons leur donner la possibilité de compter sur leur talent et leur travail pour réaliser leurs rêves grâce à une bourse.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : Unsplash
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