
60 ans de relations franco-chinoises : du général de Gaulle à Emmanuel Macron, retour sur les voyages des présidents français en Chine - 2e volet : de Nicolas Sarkozy aux années post-Covid
Des défis croissants
Tout comme Jacques Chirac, l'ancien ministre de l'Intérieur et nouveau président de la République Nicolas Sarkozy se rend à trois reprises en Chine, mais cette fois en l'espace de cinq années de présidence. Mais Nicolas Sarkozy prend le contre-pied de la posture chiraquienne et les relations entre la France et la Chine se dégradent subitement sous sa présidence, avec une année noire en 2008, obligeant le quai d’Orsay à développer des trésors de diplomatie pour retrouver une relation sereine avec le géant chinois.
Après un premier voyage officiel en 2007, Nicolas Sarkozy retourne en Chine en 2010 pour sceller la réconciliation. François Hollande, de son côté, effectue deux visites d'État durant son mandat, en 2013 et en 2015. Ni l’un ni l’autre ne parviennent à rééquilibrer un déficit commercial avec la Chine. À Pékin, on considère que la relation avec Paris présente un intérêt moindre qu’auparavant. L’Europe – ex-soviétique y compris – s’avère, du point de vue des idées, beaucoup moins attractive pour l’élite chinoise. La période est marquée dans les cénacles intellectuels chinois par deux ouvrages phares : Gaobie geming (Adieu la Révolution) de Li Zehou et Liu Zaifu édité en 1995 et La Chine peut dire non publié l’année suivante par trois auteurs : Song Qiang, Zhang Zangzang et Gu Qingsheng. Si le premier de ces ouvrages semble annoncer pour la Chine la fin d’un idéal révolutionnaire, le second tient compte des premiers signes de rivalités qui opposent la Chine à l’Occident et au Japon. La Chine entre donc dans une ère nouvelle qui parachève à la fois sa normalisation avec la communauté internationale tout en cultivant, chaque année davantage, sa singularité.
Ainsi, intègre-t-elle l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 après avoir cocréé, aux côtés de la Russie, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Si l’année 2001 retient davantage en Occident les attentats du 11 Septembre et, selon George W. Bush, l’entrée en guerre des États-Unis « contre le terrorisme », la tragédie new-yorkaise passe sous silence une montée de tensions qui, quelques mois auparavant, avaient opposé Washington à Pékin. En effet, le mois d’avril avait été marqué par l’interception d’un avion espion américain, un EP-3 ; la chasse chinoise le forçant à atterrir sur l’île chinoise de Hainan où l’équipage américain avait été tenu aux arrêts pendant près d’un mois. C’est dans ce contexte difficile que la France, alliée des États-Unis, est amenée à trouver une marge de manœuvre vis-à-vis de Pékin dont l’Occident observe, médusé, l’extraordinaire montée en puissance. Lorsque Emmanuel Macron est élu président en 2017, il hérite d’une situation ambivalente avec un double constat : la Chine est un défi et ce dernier réside en la difficulté à coopérer dans un climat de défiance stratégique alors que la Chine est devenue incontournable en tant que partenaire en matière de lutte contre le réchauffement climatique mais aussi en tant qu’acteur de premier plan face aux nombreux défis du monde, à commencer par la guerre en Ukraine.
Les années Emmanuel Macron
De tous les chefs d’État sous la Ve République, Emmanuel Macron est sans doute le premier à prendre la mesure du poids réel qu’exerce la Chine et de son projet mondial que sont les Nouvelles Routes de la soie. À plusieurs reprises, le chef de l’État français fait savoir à son homologue Xi Jinping que la France s’oppose à une mentalité de guerre froide et à une politique des blocs. Outre ces aspects politiques, il sait aussi que les enjeux économiques entre les deux pays sont considérables. Même si la croissance chinoise s’établit à 3 % en 2022, bien en dessous de l’objectif de 5,5 % fixé par le gouvernement, la Chine reste un pays attractif en termes d’investissements. Parmi les dix premières entreprises françaises à investir dans ce pays, Accor s’est associé au groupe Alibaba et ses 700 millions de consommateurs. Le partage de données entre les deux groupes permet d’accéder à des marchés lucratifs. Alstom est également présent dans le développement de systèmes de métro et celui du monorail en Chine. Airbus, bien sûr présent depuis 1994. Pierre Fabre et L’Oréal dans le domaine des cosmétiques, bientôt talonnés par Lancôme. Saint-Gobain n’est pas en reste et produit dans le domaine des industries de la santé en Chine depuis 1985. S’ajoute le groupe Safran, incontournable dans le domaine crucial de l’aéronautique. Sanofi représente une part importante dans le domaine de l’industrie pharmaceutique sans oublier Valéo dans le domaine des équipements électriques ; multinationale très présente à Wuhan, Shanghai et Nanjing. Decathlon et Pernod Ricard rappellent aussi l’importance accordée en Chine aux industries du sport mais aussi à la consommation des alcools et spiritueux. On aura beau dire que le marché chinois est moins important pour la France qu’il ne l’est pour les industries allemandes, la Chine demeure un acteur incontournable. Au total, 2 100 entreprises hexagonales ont investi en Chine. Leur répartition sectorielle est la suivante : 30 % dans les services, autant dans le secteur industriel ; le commerce et la distribution représentant 15 % du secteur. Paradoxalement, l’agroalimentaire ou la santé ne représentent respectivement que 5 et 4 % du secteur même si le secteur de la santé semble être en pleine croissance.
Et il n’est pas le seul. Ainsi, courant juin 2022, des investisseurs français emblématiques ont annoncé accroître leurs investissements. Parmi eux, Airbus qui a signé pour le développement d’un centre de R&D dans la ville de Suzhou. Air Liquide entend davantage investir dans le domaine de l’agro-alimentaire, de l’hydrogène et de l’électronique ; investissements qui seront à terme également bénéfiques pour ses sous-traitants à la fois français et chinois. En d’autres mots, la présence française représente plus de 500 000 emplois. Et les deux pays ont des projets de contrats pour l’avenir que l’on ne saurait négliger. Ainsi, le groupe pharmaceutique chinois Tasly Mauna Kea a établi avec la medtech française un partenariat pour commercialiser un endoscope révolutionnaire. La joint- venture permettra à Tasly de commercialiser Cellvizio en Chine, un endoscope permettant de visualiser in vivo les tissus à l’échelle de la cellule et de déceler des anomalies, et à la medtech française de continuer ses recherches grâce aux 6 millions d’euros accordés par Tasly. D’autres exemples dans les investissements et les implantations croisés sont à prendre en compte. Ainsi, le constructeur automobile chinois Byd, qui a dépassé Tesla pour devenir le premier vendeur de véhicules électriques en 2022, va faire son apparition sur le marché français en s’appuyant sur des points de vente physiques. Il a déjà signé un contrat avec le groupe de distribution français Bymycar. La concession du groupe français, située rue de Rivoli à Paris, propose désormais à la vente des modèles Byd. Ce n’est qu’un début pour la marque chinoise, qui souhaite à l’avenir étendre son réseau de distribution. Autre exemple, celui de la start-up chinoise Leapmotor fondée en Chine en 2015 qui propose depuis février 2023 pour la première fois en France son modèle Leapmotor T03, une voiture citadine électrique. Avec ses dimensions compactes, son autonomie importante et son design tout en courbe, le véhicule dispose de réels atouts pour séduire la clientèle européenne. Eve France, le représentant officiel de la marque basé à Toulouse, a prévu de lancer une centaine de points de vente et de Sav avant la fin de l’année 2023. En décembre 2022, enfin, a eu lieu la première conférence de coopération entre la ville chinoise de Taicang (province du Jiangsu) et Toulouse, siège d’Airbus, dans le domaine de l’industrie aérospatiale. Les représentants de Taicang ont précisé comment ils comptaient faire de leur ville une base industrielle mondiale de l’aéronautique et de l’astronautique. Ce type d’événement pourrait se reproduire à l’avenir et permettrait, comme l’espère la partie chinoise, aux équipes françaises de s’intégrer au développement de l’industrie aérospatiale de la Chine.
Une vision stratégique de long terme
Ces derniers exemples témoignent d’une restructuration importante de la Chine dans son réaménagement territorial et industriel. La France a, dans ces domaines stratégiques, des atouts importants. Ces différentes évocations nous rappellent aussi la domination écrasante de la Chine sur les batteries électriques : en 2022, la Chine détient 77 % des capacités de production mondiales de batteries, avec 6 des 10 plus grands fabricants au monde. L’avantage bien établi de la Chine devrait se poursuivre jusqu’en 2027, avec 69 % de la capacité mondiale de fabrication de batteries. Même si d’après Bloomberg, les États-Unis et l’Europe devront investir respectivement 87 milliards de dollars et 102 milliards de dollars pour répondre à la demande intérieure de batteries avec des chaînes d'approvisionnement entièrement locales d’ici 2030, l’interdépendance entre les économies se poursuit. En réalité, bien loin de disparaître, la mondialisation prend une nouvelle forme, façonnée par la Chine (via son Initiative de développement mondial (IDM) et par le développement de l’économie numérique et des monnaies numériques) : une nouvelle donne dont Emmanuel Macron devra tenir compte. Une « complexité », comme le chef de l’État français aime à le répéter, qui voit un découplage de plus en plus saisissant entre les rivalités stratégiques qui opposent la Chine et les États-Unis d’une part et une intensification de leurs échanges économiques de l’autre. En d’autres mots, la coopération industrielle entre la France et la Chine ne peut que s’intensifier. S’ajoute pour la France un maillage qui assure sa présence sur le plan culturel et éducatif en Chine à ne pas négliger. Sans oublier non plus le fait qu’il existe plus de 28 000 étudiants chinois en France, soit 5 % du total mondial. Dans le sillage historique de l’ancien premier ministre de Mao, Zhou Enlai, et de son successeur des années 1980, Deng Xiaoping, qui ont fait leurs études en France, les échanges universitaires entre les deux pays ne cessent de se renforcer. À l’heure actuelle, plus de 120 jumelages ont été créés entre des établissements d’enseignement supérieur chinois et français et plus de 20 jumelages entre les lycées des deux pays. Preuve s’il en est que la relation franco-chinoise demeure précieuse pour l’avenir.
Emmanuel Lincot est l’auteur de Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique aux PUF. Il enseigne l'histoire politique et culturelle de la Chine à l'Institut catholique de Paris.
Photo : la recherche scientifique sur les pandas géants fait partie des nombreux projets de coopération franco- chinois. © Xinhua
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