
L'histoire de Kuliang au Fujian : village de vacances et premier témoignage de l’amitié sino-américaine
Elyn MacInnis est l’épouse de Peter MacInnis, lui-même fils de l’américain Donald E. MacInnis, membre des Flying Tigers, un groupe de pilotes volontaires américains venus en Chine pour combattre aux côtés du peuple chinois contre l'invasion japonaise. Pasteure, elle vit en Chine et est notamment conseillère et chercheuse à l'Association de recherche culturelle et touristique de la ville de Kuliang. Elle nous livre son témoignage sur un pan de l’histoire de Chine peu connu de cette ville, l’un des premiers « villages » de vacances chinois, très prisé des Américains dès le XIXe siècle. Elle reste aujourd’hui un lieu touristique et le symbole de l’amitié sino-américaine.
Kuliang (appellation anglaise, Guling en chinois), au nord du mont Gushan, est une petite ville de la banlieue de la ville de Fuzhou, dans la province du Fujian. Située près de l'un des premiers ports ouverts au commerce en Chine au XIXe siècle, elle a été un lieu de villégiature estival autrefois très prisé des étrangers, et ce, dès la fin du XIXe siècle. De nombreux commerçants, missionnaires et diplomates occidentaux sont venus travailler et vivre à Fuzhou, passant l'été à Kuliang, réputée pour la fraîcheur de son climat, y nouant de profondes amitiés avec les locaux.
L'histoire de Kuliang est touchante, car elle est un témoignage d’une amitié sino-américaine parfois mise à l'épreuve à notre époque... À l’occasion du forum sur l'amitié populaire sino-américaine intitulé « Liaison de Kuliang 2023 », qui s'est récemment tenu à Fuzhou cet été, Elyn McInnis, qui vit en Chine depuis 1988, s’est exprimée sur la symbolique de ce lieu. Pasteure, citoyenne d’honneur de Fuzhou, conseillère principale et chercheuse en chef de l'Association de recherche culturelle et touristique de Kuliang, elle est la femme d’un des descendants de ces familles américaines qui ont vécu à Kuliang et qui y ont construit une villa pour leurs vacances. Elle tente aujourd’hui de réunir ce qui reste de témoignages sur cette histoire locale.
Quelle est l'histoire de Kuliang ? Quels précieux souvenirs le lieu renferme-t-il ?
Kuliang est un célèbre lieu de villégiature estivale au nord du mont Gushan à Fuzhou. C'était autrefois la destination estivale de nombreux étrangers vivant en Chine. Cette histoire a été oubliée pendant longtemps, mais renaît un peu de ses cendres aujourd’hui.
En 2017, les descendants des Billings se retrouvent à Kuliang dans la villa qui appartenait autrefois à leurs parents. © CNS
En 1901, Milton Gardner, n’est encore qu’un bébé quand il vient à Fuzhou avec ses parents. Il y a vécu pendant dix ans. Puis chaque été, la famille est revenue vivre à Kuliang. Durant les décennies suivant leur retour définitif aux États- Unis, le plus grand souhait de Gardner a été de retourner en Chine. Malheureusement, il n'a jamais pu réaliser ce souhait avant de mourir en 1986. En avril 1992, le Quotidien du Peuple publiait un article intitulé « Ah ! Kuliang », racontant l'histoire de Gardner. Après avoir lu l'article, Xi Jinping, qui était alors secrétaire du Comité municipal du Parti à Fuzhou, a invité sa veuve, Elizabeth Gardner, à se rendre en Chine pour réaliser ce dernier souhait de son mari de revisiter le pays de son enfance. Elle a également reçu le titre de « Citoyenne d'honneur de la ville de Fuzhou ».
À mesure que des histoires enfouies à Kuliang se sont révélées, leurs protagonistes sont apparus de plus en plus nombreux, incluant désormais les descendants de nombreuses familles américaines comme les Billing, les MacInnis, les Skinner, les Brewster, et d'autres. Ainsi de Harold Brewster, directeur de l'Union Hospital de Fuzhou. Ses quatre enfants ont tous vécu à Fuzhou. Sa deuxième fille, Claude Hollister, a gagné une grande popularité parmi les internautes chinois en 2017 grâce à une vidéo où elle récite une chanson en dialecte de Fuzhou. Le Dr. Bliss, un Américain qui avait longtemps pratiqué la médecine dans les villages du nord du Fujian, avait rencontré sa femme, May Botz, à Kuliang. Ils y avaient passé leur lune de miel. Le Docteur aurait déclaré aimer « profondément le peuple chinois » et aura formé de nombreux pharmaciens locaux. Les photographies conservées par les descendants des Billing sont aussi d'une grande valeur pour se donner une idée de l'apparence de Kuliang à l'époque.
Quelle relation vous et votre famille entretenez-vous avec Kuliang ?
Ma relation avec Kuliang remonte à mon beau- père, Donald E. MacInnis. En 1940, il est étudiant aux États- Unis. Il vient alors à Fuzhou pour enseigner à l'école Yinghua comme missionnaire méthodiste, avant d’être appelé sous les drapeaux. En 1945, il intègre en tant que lieutenant les Flying Tigers de l'armée de l'air américaine pour soutenir la guerre contre l'invasion japonaise. Après la fin de la guerre, il revient au Fujian pour la troisième fois avec sa femme et son fils aîné pour enseigner à l’Union University du Fujian. C'est à ce moment qu'est né leur second fils, Peter, mon futur mari. Chaque été, toute la famille se rendait à Kuliang pour échapper à la chaleur. En 1949, il doit malheureusement retourner aux États-Unis. Il y poursuit ses études et en ressort titulaire d'une maîtrise en théologie. Ce n’est qu’en 2004, à un âge avancé, qu’il reviendra finalement au Fujian. Il y enseignera même pendant un an à l'Université Wuyi.
En 2005, à la fin de sa vie, Donald E. MacInnis a laissé un testament demandant qu'une partie de ses cendres soit laissée à Fuzhou et qu'on lui rende visite plus tard à Kuliang, pour que nous puissions retrouver nos racines familiales. Au dixième anniversaire de sa mort, nous avons suivi ses dernières volontés en rapportant la moitié des cendres à Fuzhou et en les dispersant dans les eaux du fleuve Min, réalisant ainsi le souhait du vieil homme de voir son âme « retourner dans sa deuxième patrie ». C'est cette année- là que j'ai également visité Kuliang pour la première fois. J'ai alors commencé à m'investir dans la recherche et la collecte d'informations sur l’histoire locale. J'ai rendu visite à de nombreux descendants d'étrangers qui ont vécu là-bas. À travers des textes, des images, des objets, je continue de reconstruire cette histoire, créant également une opportunité pour promouvoir les échanges culturels entre la Chine et les États-Unis.
Ces dernières années, j'ai trouvé plus de 6 000 documents, dont près de 800 photos. Beaucoup d'entre elles sont exposées dans la villa Fu à Kuliang. C'était la maison de mon mari, enfant. Aujourd’hui rénovée, elle restitue de manière immersive le cadre de cohabitation harmonieuse entre Chinois et étrangers au cours du siècle dernier. Nombre de ces villas de style occidental unique font aujourd’hui partie du patrimoine culturel architectural de la ville.
Pourquoi dit-on que l'histoire centenaire de Kuliang est un témoignage de l'amitié sino-américaine ?
Kuliang est un endroit exceptionnel où résidents étrangers et locaux vivaient en harmonie, formant une communauté civilisée d'échange mutuel. Les gens de Kuliang s'entraidaient, et cet esprit a transformé le lieu. À l'époque, de nombreux enseignants, médecins, commerçants, diplomates et missionnaires étrangers vivaient ici. Ils ont établi des écoles, des hôpitaux et des associations d'utilité publique, inculquant des compétences professionnelles à des étudiants chinois, les aidant à devenir médecins, infirmiers, pharmaciens ou experts agricoles. Chaque week-end, des médecins étrangers, comme le Dr. Brewster, trouvaient le temps d'offrir des soins médicaux aux résidents locaux ; certains résidents étrangers enseignaient la lecture et l'écriture aux enfants locaux. Bien que certains ne soient venus à Kuliang que pour se reposer et se détendre, beaucoup ont apporté un esprit d'entraide dans cette vallée.
Les habitants du coin fournissaient chaleureusement de la nourriture à ceux qui venaient passer leurs vacances ici, et allaient chercher également des pierres dans la montagne pour aider à la construction de ces villas, encore debout aujourd’hui. À la fin de l'été, lorsque les étrangers partaient, les villageois s'occupaient également de leurs maisons. Certains commerçants chinois ont ouvert des boutiques spécialement pour fournir à ces étrangers des articles qu'ils ne pouvaient pas acheter ailleurs. Chaque histoire à Kuliang est différente, mais elles portent toutes un témoignage profond de l'amitié entre ces Américains venus en Chine et le peuple chinois. Cela nous montre un fait important : des gens de différents pays, de différentes familles et de différents contextes culturels peuvent établir des amitiés, et ces amitiés peuvent être transmises de génération en génération.
Quelle est la signification de l'histoire de Kuliang pour vous ?
L'histoire de Kuliang peut être résumée en quelques mots : compréhension, respect, paix, amitié, amour. C'est ce que nous appelons « l'esprit de Kuliang ». La raison pour laquelle nous insistons sur la compréhension et le respect est que les différences culturelles, si elles ne sont pas bien gérées, peuvent conduire à des malentendus. Avec des contextes culturels différents, nous devons observer attentivement, essayer de comprendre et se respecter mutuellement, car c'est de cette manière que naissent l'amitié, l'amour et la paix. L'avenir est composé de petits événements qui se produisent chaque jour. Tant que nous adhérons à ces principes de compréhension, de respect, de paix, d’amitié et d’amour, et que nous commençons par de petits actes, nous pouvons construire un avenir meilleur. C’est ainsi que des personnes aimables et que de nombreux événements émouvants contribueront à construire un pont après l'autre entre les cultures et rapprocher les peuples chinois et américains.
Comment renforcer la coopération et les échanges amicaux entre la Chine et les États-Unis, sinon au-delà ?
Kuliang possède une vitalité qui transcende le temps et l'espace. Nous en sommes tous les héritiers. Actuellement, les descendants des familles américaines qui ont vécu à Kuliang ont formé l’association des « Amis de Kuliang » et travaillent activement à préserver l'esprit de Kuliang. Il y a encore beaucoup d'histoires qui demeurent inconnues du grand public. Par conséquent, nous devons continuer à explorer et à étudier cet héritage historique. Je suis en train d'écrire ma propre histoire, et c’est à la fois une histoire chinoise et américaine, mais surtout, elle appartient à toute l'humanité. J'espère qu'un jour, Kuliang deviendra l’endroit où tous les enfants du monde viendront. Ils se retrouveront ici, prendront soin les uns des autres, apprendront ensemble, et le plus important est qu'ils développeront, à travers ces petites interactions, des amitiés importantes, résilientes et de longue durée.
Article adapté du chinois et initialement publié le 3/8/2023 sur chinanews.com.cn
Photo du haut : Panorama de Kuliang, entre 1900 et 1910. © CNS
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