
Le Portugal profite-t-il vraiment des nouvelles routes de la soie ?
Le Portugal s’est engagé depuis 2018 à coopérer avec la Chine dans le cadre de l’initiative chinoise. Où en est la relation à ce stade ?
En décembre 2018, à la suite de la visite du président Xi Jinping au Portugal et de la signature d’un Memorandum de compréhension avec la Chine, le Portugal a officiellement rejoint l’initiative chinoise « La Ceinture et la Route » (en anglais One Belt One Road – OBOR, encore parfois appelée Nouvelles Routes de la soie en France). Néanmoins, les relations sino-portugaises s’inscrivent dans le temps long et ne sont pas le fruit de ce récent accord. Sans remonter aux premiers rapports dès le 16e siècle entre l’Empire des Ming et le Portugal, les relations diplomatiques contemporaines entre la Chine et le Portugal se développent dès 1979.
Des intérêts réciproques
Si en 2005, a été établi entre la Chine et le Portugal un partenariat stratégique global dans l’objectif d’intensifier les contacts bilatéraux, c’est à partir des années 2010 que la présence chinoise au Portugal enregistre une croissance importante. En effet, suite à la crise financière de 2008-2009, la volonté du Portugal de surmonter les mesures d’austérité dont il aimerait se passer crée une fenêtre d’opportunité favorable à la Chine pour investir dans le pays. Une série d’investissements majeurs sont concrétisés, dont le principal et pas des moindres : l’acquisition de 21,35 % du capital d’Energia De Portugal, le fournisseur portugais d’électricité, en 2011, par l’entreprise publique chinoise China Three Gorges Corporation et pour un total de 2,7 milliards d’euros.
En 2015, le Portugal voit l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement socialiste dirigé par le Premier ministre Antonio Costa. Décidé à revenir sur les mesures d’austérité imposées au Portugal depuis la crise et à entamer un nouveau cycle de croissance économique, le nouveau gouvernement entend attirer les capitaux étrangers afin de stimuler la croissance économique. Cette politique a conduit à approfondir les liens avec la Chine.
La même année, toujours dans le cadre de l’initiative OBOR, le Portugal est l’un des 57 membres fondateurs de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), censée participer au financement du projet. Les investissements chinois au Portugal ont aussi pu être facilités par la mise en place par Lisbonne en 2018 d’un Golden Visa, aussi connu sous le nom de « Visa investisseur ». Ce programme offrait aux citoyens de pays non-membres de l’UE un permis de séjour au Portugal sous plusieurs conditions : investir dans une entreprise, ou dans l’immobilier sur le territoire portugais pour un minimum de 500 000 euros et passer au moins 7 jours par an dans le pays. Après six ans, l’investisseur pouvait demander la nationalité portugaise et ainsi obtenir un passeport pour tout l’espace Schengen. Une mesure qui visait alors un nombre restreint de personnes, notamment les ressortissants chinois riches qui souhaitaient émigrer en Europe. Depuis mars 2023, ce programme n’est plus en vigueur.
Côté Chine, il s’agit non seulement de reconnaître l’importance du Portugal mais surtout celle du monde lusophone. Macao, ancienne colonie portugaise rendue à la Chine en 1999, relie Pékin et Lisbonne. Depuis 2003, se tient à Macao le Forum de Macao, un mécanisme de coopération commerciale et économique entre la Chine et huit pays dont l’une des langues officielles est le Portugais. Parmi ces pays, sont présents évidemment le Portugal, mais aussi le Brésil, l’Angola ou encore le Mozambique. Le forum aspire à promouvoir le rôle de Macao comme interface connectant la Chine au marché lusophone.
Xi Jinping serrant la main de son homologue portugais Marcelo Rebelo de Sousa à Lisbonne, au Portugal, le 4 décembre 2018. © XIE Huanchi/Xinhua
Du point de vue des investissements directs chinois vers le Portugal, les flux entrants dépassent les flux sortants et ce, chaque année, depuis 2013 (chiffres de l’OCDE). En d’autres termes, les investissements chinois au Portugal n’ont cessé d’augmenter. Comme pour beaucoup de pays européens, la Chine est un partenaire plus important pour le Portugal que le Portugal ne l’est pour la Chine. Toutefois, selon les chiffres de la Banque Mondiale, le commerce entre les deux pays poursuivrait une croissance positive depuis 2008. Les chiffres montrent surtout que les investissements chinois au Portugal ainsi que l’import-export entre les deux pays n’ont pas connu d’augmentation significative suite à l’adhésion du Portugal aux Nouvelles Routes de la Soie. Ceux- là ne sont que le fruit d’intérêts parallèles développés entre les deux pays depuis les années 2010. En mai 2019, un article des Échos rapportait ces propos du Premier ministre portugais Antonio Costa : « Lorsque le plan de sauvetage de la troïka a obligé le Portugal à privatiser une série d’entreprises, ceux qui sont venus investir n’étaient pas des entreprises européennes, mais des entreprises chinoises (...) Elles sont venues en respectant les règles du marché. »
Quand les États-Unis s’en mêlent
Néanmoins, avec cette adhésion, le Portugal renouvelle ses ambitions et affirme sa volonté de se transformer en porte d’accès des Nouvelle Route de la Soie sur la façade atlantique de l’Europe. Le Port de Sines pourrait ici jouer un rôle clé dans la stratégie portugaise. Situé à environ 150 km au sud de Lisbonne, le Port de Sines est un port important de la côte ouest du Portugal. Le port de Sines assure la liaison entre le Portugal et les marchés mondiaux, notamment l’Afrique et l’Amérique du Sud. Grâce à sa position stratégique sur l’Atlantique et à sa connectivité aux réseaux routiers et ferroviaires majeurs portugais, et donc au marché européen, celui-ci pourrait à l’avenir assurer un rôle d’interface entre la Chine et le marché commun européen dans le cadre de l’initiative chinoise.
En 2019, un appel d’offres est lancé pour investir dans un nouveau terminal au sein du port, couvrant une superficie de 46 hectares et ayant une capacité de traitement de 3,5 millions de conteneurs, avec un investissement privé de 642 millions d’euros. L’intérêt porté par les entreprises chinoises au projet attise aussitôt les craintes de Washington. À ce sujet, les propos de l’ambassadeur américain au Portugal, George Glass, appelant Lisbonne à « faire un choix » et rappelant l’importance du Port de Sines pour les intérêts des États-Unis... alors que Sines assure 30 % des importations de gaz naturel liquéfié américain vers l’UE.
La situation aura finalement fait avorter le projet sur fond de pandémie. Mais plus récemment, le 13 avril dernier, l’ambassadeur de la Chine au Portugal, Zhao Bentang a visité la municipalité de Sines et s’est entretenu avec son maire. L’ambassadeur avait alors souligné l’intérêt pour la Chine d’approfondir ses relations avec le Portugal, considérant le potentiel de Sines en ce qui concerne évidemment son port, mais aussi les projets dans sa zone industrielle.
Néanmoins, la situation politique au Portugal s’est fragilisée début mai 2023, lorsque les partis d’opposition portugais ont demandé au président Marcelo Rebelo de Sousa d’utiliser son pouvoir de dissolution du Parlement, suite au scandale autour de la compagnie aérienne publique TAP. Une situation intérieure qui n’envoie pas de signal de stabilité aux potentiels investisseurs. En effet, alors que le ministre des Infrastructures Joao Galamba, qui supervisait la compagnie aérienne, avait présenté sa démission à la demande du président, le Premier ministre Antonio Costa a décidé de le maintenir à son poste, ignorant ainsi le souhait du président de le voir partir. Les relations entre le Premier ministre et le Président du Portugal ne sont pas au beau fixe, il n’est pas garanti que le président prendra la décision de dissoudre le gouvernement et de provoquer des élections anticipées.
Ainsi, si la Chine et les entreprises chinoises sont décidées à investir au Portugal, notamment dans des infrastructures stratégiques, elles devront manœuvrer entre les intérêts américain, européen, et la situation domestique du pays.
Théo Letsis est analyste au Pôle Europe de l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.
En partenariat avec L’Observatoire français des Nouvelles Routes de la soie (OFNRS). Retrouvez tous les articles sur observatoirenrs.com.
Photo du haut. Dr.
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