« Spirited Garden » : le jardin de l'amitié sino-coréenne de l’île de Jeju

1691403760275 China News Liu Xu

L'île de Jeju en Corée du Sud abrite un jardin de bonsaïs mondialement connu : le « Spirited Garden » (en français « Jardin de l'esprit »). Depuis 2007, le Spirited Garden organise régulièrement des activités pour commémorer l'anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la Corée du Sud. 

Il symbolise ainsi l’amitié entre ces deux pays. En avril dernier, Cheng Fan Yong, le directeur de ce jardin de bonsaïs, a été interviewé par le média China News. Il est revenu sur sa philosophie du bonsaï et sur l’histoire de l’amitié entre la Chine et la Corée du Sud, elle-même liée à la culture des arbres en pots, considérée comme un art dans les deux pays.  

Pourriez-vous nous rappeler le contexte de la création du Spirited Garden et nous expliquer pourquoi vous avez choisi ce nom pour votre jardin ? 

Je suis né en janvier 1939 dans la province de Gyeonggi-do. À partir de 1963, j’ai commencé à venir régulièrement sur l’île de Jeju en bateau. En 1968, je m’y suis installé afin de construire ce jardin de bonsaïs. Ici, au début, il n’y avait ni eau ni électricité. J’ai commencé à construire au milieu d’anciens murs de pierre couverts de broussailles. Jour et nuit, j’ai creusé le sol et ramassé des cailloux en avançant assez irrégulièrement, subissant même plusieurs blessures. J’ai même été obligé de faire des opérations et des séjours à l’hôpital. Je n’avais aucun plan, je construisais tout petit à petit, en élaborant ma réflexion au fur et à mesure. C'est pour cette raison que j'ai décidé d'appeler cet endroit le Spirited Garden. 

En Chine, on vous surnomme parfois le « Yugong coréen » (Yugong est le personnage d’une fable de la mythologie chinoise qui voulait déplacer des montagnes, il est connu pour sa patience et sa persévérance). Connaissez-vous l'histoire de Yugong ? Est-ce que l’histoire de ce personnage vous inspire ? 

Au départ, je ne connaissais pas du tout l’histoire de Yugong. Mais lorsque j’ai vu que les médias chinois me surnommaient ainsi, je me suis renseigné. Je pense que Yugong est un personnage extraordinaire et je n’oserais pas vraiment me comparer à lui. S’il existe cependant des points communs entre Yugong et moi, c’est certainement notre persévérance dans le travail. 

Cela fait plus de 55 ans que je travaille ici, depuis 1968. À l’exception de quelques voyages d'affaires, je cultive constamment mon jardin et j’entends bien continuer à le faire encore longtemps. Depuis récemment, je me lève à 5h voire 5h30 du matin, et je viens travailler ici à 6h. Je prends le petit-déjeuner ici et je recommence à travailler, jusqu'à la tombée de la nuit, sans me fixer de période précise de repos. Je ne me suis pas non plus donné de jours de repos, sauf lorsque je suis malade et hospitalisé. J'ai subi de nombreuses blessures à cause de mon travail et j'ai même été hospitalisé douze fois, j'ai aussi subi plus de sept opérations chirurgicales. J’ai construit tout ce jardin de mes propres mains. Je pense finalement que c’est important de donner du sens à son travail. Les gens ont tous besoin de travailler, c’est un moyen d’atteindre un but. Ce n’est qu’en avançant progressivement vers ce but que l’on peut entrer dans un état de sérénité, que l’on peut se chercher et se réaliser. 

Quelle est votre interprétation de la philosophie du bonsaï ?

Le bonsaï n'est pas une simple reproduction ni un modèle réduit de la nature. C'est un matériau naturel en soi, qui se trouve être en accord avec les lois de la nature et qui permet de donner libre cours à la conscience esthétique de l'homme et à sa personnalité. Le bonsaï consiste à créer une œuvre plus belle encore que ce qui compose la nature à l’origine. Dans un sens, on peut dire que la culture du bonsaï s’inscrit dans le précepte taoïste de la « recherche de la voie ». Grâce à cet art, l'homme et la nature se conjuguent pour ne faire qu'un.

Il existe un vieux dicton chinois qui dit qu'il faut dix ans pour faire pousser un arbre et cent ans pour élever un homme. Je pense ainsi qu'il existe un lien très fort entre la culture des arbres et la culture des hommes. Prenez par exemple le cas d’une famille : un jeune homme et une jeune femme se marient, ils ont un enfant et l'élèvent. C’est la même chose avec les arbres : tout comme chaque enfant, chaque arbre possède un caractère différent. Prendre soin d'un arbre et élever un enfant nécessitent finalement des aptitudes assez similaires. La culture du bonsaï est à la fois spirituelle et éducative et je pense qu’une meilleure compréhension de la culture du bonsaï permettrait aux gens de choisir correctement leur chemin de vie. Aujourd’hui, j'essaie également de faire de cet endroit un « jardin éducatif », pour guider les gens à partir des vérités et de la philosophie que la culture des arbres m’a inculquée.  

Vous avez accueilli de nombreux visiteurs chinois dans votre « Spirited Garden ». Y a-t-il quelque chose qui vous a marqué dans vos échanges avec vos amis chinois et dont vous voudriez nous faire part ?

La construction du Spirited Garden a commencé en 1968 et le jardin a été ouvert au public en 1992. De nombreux dirigeants, universitaires et experts chinois sont venus ici et j'ai aussi été invité par des universités chinoises et des gouvernements locaux de votre pays pour engager un dialogue en Chine. En rencontrant et en passant du temps avec des dirigeants de votre pays et avec mes amis chinois, j'ai fait l'expérience de leur connaissance profonde de la culture, de l'art et de la philosophie. Nos échanges étaient d’une grande qualité et j’en ai beaucoup bénéficié. 

J’ai par exemple répondu à l'invitation de Wu Weishan, directeur du Musée national d'art de Chine. J'ai visité le Musée national d'art de Chine à plusieurs reprises. En 2006, j'ai même été nommé conseiller pour l'Association des artistes chinois de « paysage en pot » (Penjing), tout en continuant à participer aux expositions des bonsaïs chinois ainsi qu’à leur promotion au travers de plusieurs échanges amicaux. Lu Zhangshen, l'ancien directeur du Musée national de Chine, mais aussi Zhao Lihong, un célèbre écrivain chinois ou encore Mo Yan, le lauréat chinois du prix Nobel de littérature, sont tous venus ici et ils sont tous de très bons amis à moi. J’ai aussi été un grand ami de Fan Jingyi, lorsqu’il était encore vivant et qu’il occupait le poste de rédacteur en chef du média chinois le Quotidien du Peuple. Je connais beaucoup de Chinois qui m’ont aussi apporté leurs œuvres, des calligraphies et des peintures. De nombreux autres amis chinois m'apportaient des œuvres de calligraphie et de peinture. Dans mon entrepôt ici, je possède plus de 3 000 calligraphies et peintures. Ce jardin de bonsaï est le jardin de l'amitié Corée-Chine. À l'avenir, j'envisagerais bien de construire aussi un musée de la culture et de l'art Corée-Chine, afin d’y exposer tous les cadeaux chinois que j’ai reçus. 

Pendant que j’ai construit le Spirited Garden, j’ai aussi éprouvé une grande solitude, en plus d’une certaine douleur. Plongé dans l’angoisse et l’incertitude, j’ai été grandement réconforté quand les experts et érudits du monde entier m’ont fait part de leur soutien. Originaires du monde entier, y compris de Chine, ils ont tous apprécié ce jardin. C’est un lieu qui n’a fait l’objet d’aucune planification et qui, depuis plus d'un demi-siècle, correspond simplement au rêve d'un simple agriculteur. Je suis très reconnaissant à mes amis du monde entier pour tout le soutien qu'ils ont apporté à ce jardin au fil des ans. 

Pourriez-vous nous en dire plus sur vos relations avec Fan Jingyi ?

En 1995, Monsieur Fan Jingyi, alors rédacteur en chef du Quotidien du Peuple, est venu me rendre visite. Au départ, il n'était pas tout à fait d'accord avec le principe du bonsaï, avec la culture des plantes et des arbres en pot, parce qu'il avait été influencé, pendant son adolescence, par l’œuvre de Gong Zizhen (poète, calligraphe et intellectuel chinois). Toutefois, au cours de nos échanges, il a changé d’avis. Je l’ai convaincu en lui expliquant que l’art du bonsaï consiste avant tout à procurer un sentiment de beauté aux visiteurs. 

Après son retour en Chine, Fan Jingyi avait finalement publié un article dans le Quotidien du Peuple. Contrairement à la vision de Gong Zizhen, qui rejette l'idée des plantes en pot, Fan Jingyi a déclaré dans son article que mon idée du bonsaï ne consistait pas à détruire mais bien à corriger la nature. Ces fleurs et arbres sauvages, grâce à au travail et à la culture, deviennent finalement des œuvres d'art qui peuvent éveiller le sens de la beauté chez les gens. L'article de Fan Jingyi a fait connaître mon jardin en Chine pour la première fois, et nous sommes devenus de très bons amis.  

En 2022, le Spirited Garden a célébré le 30e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre la Chine et la Corée du Sud. Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets d'échanges avec la Chine ? 

Depuis le 15e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre la Corée du Sud et la Chine, en 2007, le Spirited Garden a organisé des événements commémoratifs à raison d’une fois tous les cinq ans. Nous avons aussi organisé plus de quatre événements en lien avec cela, et nous continuerons à le faire à l’avenir. En outre, je prévois de poursuivre les échanges avec le musée des Bonsaï de Yangzhou, ainsi que le parc Baifoyuan de Shanghai, l'Académie des beaux-arts du Hebei ou encore le Daxiang Mountain Chinese Culture Park. Tout cela me permettra de maintenir les liens entre la Corée du Sud et la Chine. Nos deux pays sont les voisins les plus proches de l'autre côté de la mer et nous ne pourrons jamais être divisés. Je pense que nous devrions toujours vivre en paix avec la Chine, multiplier les échanges, apprendre l'un de l'autre et rester partenaires pour toujours. J'espère enfin que ce Spirited Garden deviendra un jardin de paix et d'amitié pour l'éternité.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.


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