Malaisie : l'East Coast Rail Link pourrait-t-il concurrencer le port de Singapour ?

1689154380432 Le 9 Théo Banse

En 2027, la Malaisie devrait ouvrir sa nouvelle ligne de train reliant l’ouest et l’est de la péninsule et visant à court-circuiter, par la terre, l’habituelle voie maritime passant par le détroit de Malacca. Les travaux sont menés par une entreprise chinoise.

Le 9 août 2017, le premier coup de pelle était donné sur le chantier du plus important projet d’infrastructure de Malaisie : l’East Coast Rail Link (ECRL). Cette liaison ferroviaire reliera les côtes Ouest et Est de la Malaisie péninsulaire. Selon les mots du Premier ministre malaisien de l’époque, Najib Razak, l’ECRL devrait apporter un changement considérable pour le pays. La présence du conseiller d’État chinois Wang Yang ce jour-là a rappelé également que ce projet constitue une des composantes essentielles des Nouvelles Routes de la Soie chinoises. Liant deux zones géographiques hautement stratégiques, à savoir le Port Klang (au nord du détroit de Malacca, dans l’océan Indien) à Kota Baru (faisant face à la mer de Chine Méridionale, dans l’océan Pacifique), cette ligne de 665 kilomètres, avec une vitesse maximale de 160 km/h, réduira de 3 heures le temps de trajet entre ces deux parties de Malaisie (7 heures aujourd’hui). Le but : tenter de faire du pays un nouveau hub logistique capable de concurrencer Singapour, tout en faisant de la Malaisie un acteur de premier plan dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie en Asie du Sud-Est.

Sécuriser la connexion entre l’océan Indien et la mer de Chine

L’East Coast Rail Link est un projet ferroviaire à double voie conçu pour améliorer la connectivité entre les États des côtes ouest et est de la Malaisie péninsulaire pour le transport de voyageurs et de marchandises. À l’extrémité ouest de ce chemin de fer se trouve le port de Klang situé non loin de Kuala Lumpur. Il s’agit du premier port de Malaisie et du deuxième d’Asie du Sud- Est en termes de volume. À l’extrémité est du tracé, la ville de Kota Bharu au nord-est du pays non loin de la frontière thaïlandaise.

Composé de 20 gares dont 1 gare de voyageurs, 5 gares mixtes voyageurs et fret et 1 gare de fret, il dessert la côte est du pays avec notamment le port de Kuantan et sa zone industrielle. Sur le trajet de Kota Bharu à Port Klang, le trajet prendra moins de quatre heures contre sept heures par la route. D’ici 2030, le tonnage de fret à bord de l’ECRL est estimé à 53 millions de tonnes, tandis que 5,4 millions de voyageurs devraient être transportés chaque année.

Avec un coût initial estimé à 13 milliards de dollars en 2016, le projet est principalement financé par un prêt de la Export-Import Bank of China (EXIM) à hauteur de 85 % pour 20 ans. Le reste est financé par des banques d’investissement locales. Il fait partie des 30 accords bilatéraux signés par les gouvernements malaisien et chinois en 2016, faisant suite à l’adoption du protocole d’accord des Nouvelles Routes de la Soie par la Malaisie en 2015. Le projet a malheureusement connu quelques déboires au gré des changements de la politique malaisienne.

Ainsi, en mai 2018, après que Najib Razak se retrouve impliqué dans des détournements de fonds liés à de nombreux projets – dont l’ECRL –, Mahathir Mohamad devient Premier ministre.

Celui-ci prévoit d’annuler le projet avant de se mettre sur une renégociation qui a lieu avec une modification du tracé et une réduction des coûts à 10,6 milliards de dollars. Mais 2020 voit arriver un second changement avec l’arrivée au pouvoir de Muhyiddin Yassin. Le projet est alors rétabli selon le plan initial en avril 2021. Le coût de construction estimé du projet est alors de 15,9 milliards de dollars. En septembre 2022, 27,8 % du projet auraient été achevés avec une mise en service prévue pour 2027 (contre 2024 à l’origine).

Pour la Malaise, l’intérêt est de désenclaver et développer économiquement la côte est du pays. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement a accordé plus d’intérêt au secteur ferroviaire, en entamant de nombreux projets afin de remplacer les voies ferroviaires unidirectionnelles actuelles par des voies bidirectionnelles dans un but de redynamisation du pays avec un réseau plus efficace. C’est donc dans cette logique que s’inscrit le projet de l’ECRL.

Pour la Chine, le projet de l’ECRL pourrait s’avérer crucial. Il est un élément essentiel à la constitution d’un réseau transasiatique reliant la Chine aux pays de l’ASEAN. Compte tenu de l’emplacement stratégique de la Malaisie, entre le détroit de Malacca et la mer de Chine Méridionale, il permettra d’ouvrir d’autres perspectives au niveau du transport de cette zone-ci vers l’océan Indien.

À terme, en plus de transporter des voyageurs, l’ECRL permettra de transférer des conteneurs du port de Klang, situé face au détroit de Malacca, au port de Kuantan face à la mer de Chine méridionale, offrant un tracé alternatif à la route maritime existante passant par Singapour et le détroit de Malacca. Ainsi en combinant la voie maritime avec l’ECRL, le temps de trajet peut être réduit de 30 heures (l’actuel trajet maritime nécessitant 165 heures). Il faut noter toutefois que le coût par conteneur sera plus important, mais pourra s’avérer utile pour les marchandises périssables, comme par exemple, les produits bio- médicaux.

Un paysage économique bouleversé

L’ECRL devrait considérablement changer le paysage économique des États de l’est de la Malaisie péninsulaire (Kelantan, Terengganu et Pahang), la région devenant à la fois pôle commercial, destination touristique et une nouvelle zone d’investissement dans le pays. En effet, tout le corridor traversé par le chemin de fer devrait connaître de nouvelles opportunités économiques avec des créations d’emplois et des centres de croissance en zones rurales. Les écarts de développement entre les côtes ouest et est pourront également être réduits du fait des nouveaux avantages et possibilités logistiques.

À noter : bien qu’il doive permettre la réduction du trafic routier, le tracé de la voie a suscité des préoccupations d’ordre environnemental : il traverse en effet des zones forestières et des habitats naturels importants, notamment des zones humides et des zones protégées, avec à la clé, des risques de perte de biodiversité et de pollutions de l’eau. Le gouvernement malaisien assure prendre des mesures en ce sens. Malgré tout l’ECRL devrait augmenter en qualité la connectivité entre les pays de l’ASEAN. Favorisant le commerce, ce projet devrait contribuer en moyenne à une croissance annuelle supplémentaire de 1,5 % du PIB dans la région de la côte est au cours des 50 prochaines années.

Théo Banse est analyste stagiaire Asie du Sud Est à l’OFNRS

En partenariat avec L’Observatoire français des Nouvelles Routes de la soie (OFNRS). Retrouvez tous les articles sur observatoirenrs.com

Photo : DR.

  

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