
Au Brésil, CCCC le géant chinois des infrastructures au ralenti
La China Communications Construction Company (CCCC) s’était fait connaître en 2016 avec l’achat de l’entreprise de construction brésilienne Concremat et les promesses de nombreux projets ambitieux. Mais depuis leur mise en œuvre se fait toujours attendre.
Dès 2016, l’entreprise d’État chinoise avait annoncé sa participation dans une série d’initiatives de grande ampleur : un mégaport à São Luís dans l’État de Maranhão, capable de gérer un flux de 10 millions de tonnes de céréales par an ; une voie ferrée dans l’État de Pará reliant les sites d’extraction de minerai de fer d’Amazonie aux principaux ports brésiliens, au côté de Vale, géant national de l’exploitation minière et de la logistique ; le pont Salvador-Itaparica, dans le cadre d’un partenariat avec le gouvernement local de Bahia et le China Railway 20 Bureau Group (CR20). Long de 12 kilomètres, il devrait constituer le plus grand projet de construction aquatique en Amérique latine.
Comptant parmi les plus grandes entreprises de construction au monde et participant à de nombreux projets dans le cadre de l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie, la CCCC donnait le sentiment chez les acteurs économiques et politiques qu’elle saurait catapulter le programme d’infrastructures du Brésil. Or près d’une demi-décennie plus tard, aucun de ces grands projets n’a quitté la planche à dessin. L’année dernière, la CCCC a même annoncé son retrait du projet de mégaport de São Luís. La vente de sa participation a été conclue en février de cette année, cédée à l’entreprise brésilienne Cosan pour 138 millions de dollars. Autrefois très active, la CCCC n’a plus également montré d’intérêt envers les récents appels d’offres nationaux organisés.
Les Nouvelles Routes de la soie en berne ?
Une évolution curieuse, à un moment où les capitaux étrangers reviennent peu à peu au Brésil. « Nous sommes encore dans une situation difficile, un scénario post-pandémique dans lequel les investissements se sont contractés, mais nous observons un processus de reprise, explique Alessandra Ribeiro, consultante chez Tendências Consultoria à São Paulo. Cette démarche de la CCCC, qui se retire d’un grand projet, semble isolée et va à l’encontre de ce que nous observons plus généralement. »
J. Bolsonaro a cherché à se rapprocher de l’adminis- tration Trump, une attitude qui a contribué à ternir l’image du pays auprès des acteurs chinois.
Cette attitude relèverait-elle de la prudence, compréhensible à l’approche des élections de 2022, qui ont vu finalement Luiz Inacio Lula da Silva réélu à la présidence de la République fédérative du Brésil (investiture le 1er janvier 2023), ou d’un abandon ? En cas d’abandon, la raison vient-elle des difficultés inhérentes aux investissements dans ce pays ou des changements de choix politiques opérés à Pékin ?
Lorsqu’elle a lancé l’initiative « Ceinture et Route » en 2013, avec l’ambition de construire de grands corridors logistiques de chemins de fer, de ports et d’aéroports censés dynamiser les relations commerciales et le transport de marchandises dans le monde, la Chine avait accumulé des années de croissance à deux chiffres. Le pays avait un objectif clair et des ressources pour financer ses entreprises dans le monde entier. L’Amérique latine, et le Brésil en particulier, en ont profité.
Aujourd’hui, le paysage semble changé. Sous la pression de préoccupations intérieures post-épidémiques et d’une perspective de croissance timide, la Chine réduit ses contributions dans le monde entier : selon la CNUCED, l’agence des Nations unies pour le commerce et le développement, les investissements directs étrangers chinois en 2021 ont baissé de 5,5 % par rapport à 2020. Le pays semble d’ailleurs délaisser l’Amérique latine pour l’Asie ou l’Afrique.
Obstacles culturels et sociaux, lourdeurs bureaucratiques...
De tous les projets de la CCCC dans le pays, celui du port de Maranhão s’est avéré le plus difficile à gérer. Situé près de São Luís, dans une zone de forêts et de mangroves, sa construction devait se faire sur la zone de Cajueiro, un village indigène où les familles pratiquent traditionnellement la pêche et la cueillette de plantes sauvages. Le projet a ravivé des tensions avec les locaux dont les revendications ont braqué le consortium dirigé par l’entreprise chinoise. « Il n’y a eu que très peu de prise en compte de la communauté de la part des entreprises impliquées », affirme Haroldo Paiva de Brito, procureur chargé des conflits agraires au ministère public de l’État de Maranhão.
Problèmes similaires pour le chemin de fer du Pará. Le projet présente toujours des risques de destruction de la biodiversité et traverse des communautés quilombolas et des zones indigènes. Là non plus, le groupe n’a pas clarifié ses positions sur ces problématiques. La construction du pont Salvador-Itaparica à Bahia a quant à elle été reportée : le gouvernement local a demandé en août dernier la réalisation d’études techniques compte tenu des conséquences négatives potentielles sur les zones protégées voisines du Salvador, d’Itaparica et de Vera Cruz.
Un environnement politique local peu engageant pour les Chinois
Autre élément en cause : la politique agressive de l’ancien président Jair Bolsonaro à l’égard des investissements chinois. Dès son entrée en fonction en janvier 2019, J. Bolsonaro a cherché à se rapprocher de l’administration Trump à un moment où la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine battait son plein. Une attitude qui a contribué à ternir l’image du pays auprès des acteurs chinois. On se souviendra d’échanges houleux, notamment entre le député fédéral Eduardo Bolsonaro, fils du président, accusant la Chine d’être responsable de l’épidémie de Covid-19, provoquant une réponse officielle de l’ambassade chinoise au Brésil. Selon Charles Tang, président de la Chambre de commerce Brésil- Chine (CCIBC), les commentaires négatifs contre la Chine sont susceptibles de générer davantage de bureaucratie freinant les projets sino-brésiliens. « Le manque de définition politique en période pré-électorale a fini par mettre de nombreux projets en attente. Je ne doute pas cependant que d'ici 2023, les choses se remettent en ordre, surtout si le gouvernement retrouve son affection pour la Chine », a ajouté Tang.
La Chine reste le premier partenaire commercial du Brésil. Les entreprises chinoises figurent également parmi les principaux investisseurs étrangers du pays dans les secteurs des infrastructures et des technologies. Mais les relations ont clairement été affectées par le rapprochement pro- américain du gouvernement Bolsonaro. « Pour l'agrobusiness ou même le commerce extérieur, la position du gouvernement n’a qu’une influence mineure. Mais lorsqu'il s'agit de grands travaux d'infrastructure nécessitant d'énormes volumes d'investissement, des licences et approbations, impossible de séparer les choses », explique Pedro Brites, professeur à la Fondation Getúlio Vargas à Rio de Janeiro.
Un gouvernement Lula pourrait être plus ouvert aux investissements chinois. C’est ce qu’a confirmé Celso Amorim, ancien ministre des Affaires étrangères sous le précédent gouvernement Lula et aujourd'hui son principal conseiller en matière d'affaires internationales. « Nous reprendrons les relations là où nous les avons laissées sous les gouvernements Lula et Dilma, avec de très bons partenariats et une très bonne coordination », a-t-il déclaré.
Raquel Grisotto est une journaliste brésilienne basée à São Paulo
En partenariat avec L’Observatoire français des nouvelles routes de la soie (OFNRS). Article publié le 01/11/2022 sur observatoirenrs.com.
Photo : le Pont Salvador-Ita parica. Source : pontesalvadoritaparica.com
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