
Les juifs réfugiés à Shanghaï : à la recherche d'une histoire méconnue
Fondé en 2007 sur les traces de la synagogue de Moïse, ancien centre d’activités des réfugiés juifs à Shanghaï, le Musée des réfugiés juifs à Shanghaï vise à reconstituer ce passé méconnu du grand public. Une histoire illustrant la solidarité et l’engagement constant du peuple chinois dans les affaires internationales.
Il y a plus de 80 ans, près de 20 000 juifs ont trouvé refuge à Shanghaï. Grâce aux mains tendues par les locaux, ces originaires de l’Europe centrale ont su surmonter les épreuves difficiles jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont séjourné dans le quartier Tianqiao de l’arrondissement Hongqiao, là où s'établit aujourd'hui le Musée des réfugiés juifs à Shanghaï.
Dans quelle mesure la ville de Shanghaï a-t-elle pu se lier au reste du monde grâce à ses engagements dans le déplacement du peuple juif ? Comment cette histoire peut-elle aider la communauté internationale à faire redécouvrir la Chine sous le prisme historique ? Chen Jian, directeur du Musée des réfugiés juifs à Shanghaï, revient, dans un entretien accordé à China News sur cette histoire méconnue au grand public qui offre un aperçu précieux de l’intégration de l’empire du Milieu dans le monde.
Quels sont les temps forts et les spécificités de l’exposition Après l’Holocauste : Les personnes déplacées et les camps de personnes déplacées coorganisée par le Musée des réfugiés juifs à Shanghaï et les Nations unies ?
Les employés qui s’occupent de la mémoire des génocides au sein des Nations unis nous ont contacté en juin 2022 pour la programmation de leur exposition Après la fin du monde : Les personnes déplacées et les camps de personnes déplacées dans notre musée. Elle a déjà été en tournée internationale dans le siège des Nations Unies, en Autriche et aux États-Unis. En accord avec les Nations unis, nous y avons ajouté un nouveau chapitre : le séjour en Chine d’une partie des réfugiés. Présentée sous le nouveau nom Après l’Holocauste : Les personnes déplacées et les camps de personnes déplacées, l’exposition a ouvert, pour la première fois, ses portes au public chinois le 30 janvier 2023. Nous avons ainsi réussi à reconstituer cette mémoire collective de l’humanité. Sur la forme, nous avons recours à l’art plastique pour réaliser de manière dynamique et vivante l’exposition.
Le déplacement des réfugiés juifs à Shanghaï fait partie du Projet des réfugiés européens sous tutelle de l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction. Qu’impliquait précisément ce projet ?
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction, ou UNRRA, s’est engagée activement dans la reconstruction des infrastructures en Chine, tout en nous fournissant des matériels alimentaires, vestimentaires et médicaux. C’est ainsi que le bureau chinois de l’UNRRA a été fondé en 1944 à Shanghaï avant de mettre la clé sous la porte en 1947. Le gouvernement nationaliste et le parti communiste chinois ont respectivement lancé leur propre unité CNRRA et CLARA pour la distribution des matériels. Selon les chiffres avancés par l’UNRRA en septembre 1946, la Chine comptait 14 500 réfugiés européens dont 14 100 se trouvaient à Shanghaï. 87 % de ces réfugiés sont d’origine juive.
D'après les universitaires chinois Wang Jian et Han Yi, tous deux originaires de Shanghaï, l’UNRRA a proposé début 1946 à leur bureau à Shanghaï de s’occuper du Projet des réfugiés européens. Plus concrètement, les services chinois de l’UNRRA dessinaient les grandes lignes et donnaient le tempo alors que le bureau de Shanghaï se chargeait de la mise en œuvre du projet et les services des réfugiés de l’UNRRA jouaient le rôle de coordinateur sur le plan international. Depuis début 1946 jusqu’à la fin du projet, l’UNRRA s’est chargé de la distribution des matériels ainsi que le rapatriement des réfugiés juifs à Shanghaï.
Dans quelle mesure votre musée a-t-il aidé à reconstituer cette histoire souvent méconnue du grand public ?
Fondé en 2007 sur les traces de la synagogue de Moïse, ancien centre d’activités des réfugiés juifs à Shanghaï, le musée vise à préserver et à faire connaître cette histoire méconnue. Il s'agit également de l'unique site historique conservé en Chine qui retrace la vie des réfugiés juifs en Chine durant la Seconde Guerre mondiale. Le musée rénové a rouvert ses portes en octobre 2020. À travers plus d’un millier de documents historiques et 170 témoignages, les collections élargies entendent reconstituer les détails du séjour de milliers de réfugiés juifs en Chine. De nombreux documents historiques méritent d’être davantage exploités et analysés. L’exposition initiée par l’ONU nous aide certainement à mieux comprendre l’aide internationale à cette époque. Le musée a d’ailleurs lancé une série d’initiatives en marge de l’exposition, telles que les soutiens à l’écriture, au tournage de documentaires et à la représentation de spectacles vivants, pour permettre au public de mieux aborder cette histoire. Nous espérons reconstituer l’histoire et en tirer des enseignements pour le présent comme pour le futur, afin de contribuer à maintenir la paix et la sécurité internationale.
Quelle est la portée pédagogique de cette histoire pour les jeunes générations ?
Il est extrêmement important de faire de la pédagogie autour de cette histoire auprès de la jeunesse. Dans les années 1930 et 1940, les Nazis ont perpétré le génocide contre les Juifs d'Europe, qui ont fait tout pour fuir le Vieux continent. Une partie de la communauté s’étant réfugiée à Shanghaï après avoir obtenu le « visa pour la vie ». Mais la ville a également accepté d’accorder le droit d’asile aux réfugiés sans visa. En 1943, ce sont les occupants japonais qui ont créé « La résidence pour les réfugiés sans frontières », ou le « Quartier confiné », qui abritait près de 20 000 réfugiés juifs dépourvus de liberté. 400 enfants nés durant cette période, surnommés affectueusement les « bébés de Shanghaï » par les locaux, étaient nombreux à considérer la Chine comme leur deuxième pays natal.
Dans les années 1990 et 2000, de nombreux anciens réfugiés et leurs descendants sont retournés à Shanghaï à la recherche de leurs racines. En témoigne le parcours de Sonja Mühlberger, née en octobre 1939 à Shanghaï : devenue spécialiste de l’histoire de la Shoah, elle a répertorié une liste de plus de 18 000 réfugiés juifs à Shanghaï, inscrite sur un mur du musée. En septembre 2021, un ancien réfugié de plus de 90 ans nous a même envoyé une lettre pour nous confier ses attachements à Shanghaï. « Il faut faire connaître cette histoire, car il n’est pas facile de gagner la paix et le bonheur dans la vie », s'exclamait-il.
Notre musée, en collaboration avec de multiples institutions et écoles, a fait le choix d’inviter régulièrement les élèves pour apprécier les expositions et pour mieux comprendre cette histoire. Nous organisons également de nombreuses activités, comme le citytrip pour susciter l’intérêt et la curiosité chez les jeunes à l’égard de l’histoire des réfugiés juifs à Shanghaï.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : wikimedia commons
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