
Le papier de Cai Lun : vecteur de culture à travers le monde
Célèbre éditorialiste et auteur du livre La fabrication du papier par Cai Lun et ses premières utilisations, ancien directeur éditorial de Littérature, histoire et philosophie, le professeur Liu Guangyu a récemment accepté une interview exclusive avec China News. Il délivre d’une part une analyse à propos de la controverse autour du rôle de Cai Lun : était-il un pionnier de la fabrication du papier ou contributeur à son amélioration ? D’autre part, il explique de quelle manière la fabrication du papier par Cai Lun a influencé la diffusion mondiale de la culture.
Cai Lun © Wikimedia Commons
La fabrication du papier figure parmi les grandes inventions héritées de la Chine ancienne. Une controverse subsiste cependant quant au rôle joué par Cai Lun dans la fabrication du papier. Était-il un pionnier ou a-t-il juste amélioré le processus ?
Depuis le milieu du XXe siècle, l’archéologie n’a cessé de mettre au jour l’existence de papier produit antérieurement à l’époque de Cai Lun. Pour certains chercheurs, c’est la preuve que la notoriété de Cai Lun vient davantage de sa capacité a avoir su améliorer les techniques de fabrication du papier que d’une invention pure. Mais s’il ne fait aucun doute que l’existence du papier lui est antérieure, cela ne peut suffire à établir la véracité de la « théorie de l’amélioration » qui a prévalu des décennies.
Dans l’historiographie officielle des Han postérieurs, la biographie de Cai Lun indique qu’il s’agissait à l’époque de résoudre les problèmes des supports d’écriture : « Les deux matières utilisées ne sont pas commodes, la soie est trop chère et les lamelles de bambou sont trop lourdes ». Cela répondait à deux exigences majeures : d'une part, baisser les coûts de fabrication ; d'autre part, rendre le produit léger et facile à utiliser. Avant que ces deux exigences ne soient pleinement satisfaites, le papier était déjà disponible, mais ce n'était pas vraiment un succès.
L'utilisation généralisée du « papier de Cai Lun », a présenté l’avantage d'être bon marché et léger. Si Cai Lun n'a pas été le premier à fabriquer du papier, il a été du moins l’artisan de la réussite ultime de cette invention sous les Han postérieurs. Les données indiquent que beaucoup de temps a été nécessaire entre la première fabrication de papier et le succès de Cai Lun. Les inventeurs du papier ont constitué un groupe de contributeurs anonymes dans un long processus dont Cai Lun a été le successeur ultime, et donc le dernier à avoir laissé son nom. Qualifier « d'améliorations » les réalisations de ce brillant savant ayant amené les techniques de fabrication du papier à son stade de maturité masque un peu la vérité.
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Deux mille ans plus tard, cette technique est toujours utilisée dans le monde. Comment s'est-elle propagée à l'étranger ?
Dès les Han postérieurs, on observe deux voies principales de diffusion de cette technique à l'étranger. La première est verticale et chemine le long des pays d'Asie de l'Est, depuis la Chine vers la Corée, le Vietnam, ou le Japon (qui a reçu cette technique via la Corée). Dans la Biographie du grand moine de Haedong, écrit par le moine Goryeo Jue Hun, est mentionné que sous la dynastie des Jin de l'Est en Chine, en 384 de notre ère, l'empereur Wu envoya le moine bouddhiste Marananta vers le royaume de Baekje (en Corée) depuis vers le Shandong afin d’y promouvoir le Bouddhisme, apportant avec lui un grand nombre de livres. Marananta aurait ainsi diffusé la technique de fabrication du papier dans la péninsule coréenne. Et ce serait en 610 après J.-C., que le moine coréen Tan Zheng aurait répandu ensuite ce savoir au Japon.
La deuxième est horizontale : la propagation de la papeterie chinoise vers l'Occident est d'abord passée par les pays arabes, avant d’arriver en Europe. Dans son ouvrage intitulé L'invention de l'imprimerie chinoise et sa diffusion en Occident, le savant américain Thomas Francis Carter explique qu’à l’occasion de la bataille de Talas opposant l’armée arabe à celle du général Gao en 751 après J.-C., sous la dynastie chinoise des Tang, des artisans papetiers de l'armée Tang furent capturés. Au bénéfice de l’enseignement de ces Chinois captifs, des ateliers de papeterie ont été construits dans les régions conquises par les arabes. Trois grands centres de fabrication ont été rapidement formés à Samarcande, à Bagdad et à Damas. Au Xe siècle après J.-C., les Arabes ont répandu cet art au Maroc et en Espagne, puis celui-ci a été transmis en France au XIIe siècle, en Italie au XIIIe siècle, en Allemagne le siècle suivant et enfin dans d'autres pays européens.
La fabrication du papier de Cai Lun a-t-elle contribué à la diffusion de la culture chinoise ?
La fabrication du papier a eu trois effets : premièrement, ce n'est qu'après l'apparition du papier qu'il aura été possible d'inventer l'imprimerie. La technique chinoise de fabrication du papier a été introduite en Allemagne au XIVe siècle, et c’est au XVe siècle que l'Allemand Gutenberg a inventé l'imprimerie. Deuxièmement, le papier, abordable et pratique, a rapidement constitué un outil puissant créant les conditions propices au triomphe des mouvements de la Réforme luthérienne et de la Renaissance européenne. Les magnifiques livres en peau d'agneau utilisés à l'origine par les anciens en Europe étaient trop chers : 300 peaux d'agneau étaient nécessaires pour copier une Bible, réfrénant même les plus riches. Or c’est la combinaison des techniques chinoises du papier et de l'impression de Gutenberg qui a donné naissance au livre en papier. Enfin, c’est grâce à cette combinaison qu’a pu se former et se développer une l'industrie de l'édition européenne moderne dès le XVIe siècle, ce qui a eu une influence majeure sur tout le processus de développement civilisationnel mondial.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo : la fabrication du papier à partir des cannes à sucre, 1962, Chine © Wikimedia Commons
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