Une nouvelle inscription au patrimoine mondial de l'humanité : les paysages des anciennes plantations de thé Pu'er aux monts Jingmai

1701688580397 China News Miao Chao

Interview de Su Guowen, héritier de la coutume du rituel du thé dans la localité de Pu'er. 

À la suite du 45e Congrès du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, qui s’est déroulé en septembre dans la capitale saoudienne, Riyad, les « paysages culturels des anciennes plantations de thé des monts Jingmai à Pu'er », ont été inscrits sur proposition de la Chine sur la liste du patrimoine mondial, devenant ainsi le 57e site chinois inscrit sur la liste. 

Ces paysages sont un exemple typique des techniques traditionnelles de plantation de thé en forêt, perpétuées jusqu'à aujourd'hui par les peuples autochtones du sud- ouest de la Chine. Su Guowen, 77 ans, un habitant d’ethnie Bulang du village de Mangjing, héritier de la coutume du rituel du thé dans la ville de Pu'er, raconte comment ses ancêtres ont créé ces paysages. Cet ancien enseignant de primaire, reconnu par l'UNESCO pour sa contribution significative à la construction de « Community Learning Centers » (CLC) et à la promotion de l'éducation permanente et de l'apprentissage tout au long de la vie, donne régulièrement des conférences sur la culture du thé. 

Comment apprécier le site des « anciennes plantations de thé des Monts Jingmai à Pu'er » ? 

Su Guowen : Ces plantations sont situées dans la ville de Pu'er, dans le comté de Lancang, dans la province du Yunnan, à la frontière sud-ouest de la Chine. Le site du patrimoine couvre une superficie totale de 19 095 hectares et est habité par cinq ethnies : les Bulang, les Dai, les Hani, les Wa et les Han. Le paysage comprend cinq anciennes plantations de thé, neuf villages et trois forêts « tampons » qui les séparent. Les visiteurs viennent ici pour, premièrement, voir les anciennes plantations de thé et, deuxièmement, visiter les villages autochtones étroitement liés à la culture du thé. 

Comparativement aux célèbres plantations de thé en terrasses ou aux champs plats que l'on trouve ailleurs, les anciennes forêts de thé des monts Jingmai se distinguent non seulement par une histoire plus ancienne, mais aussi par leurs méthodes traditionnelles de culture « sous les arbres » et leur rôle dans le maintien de la stabilité de l'écosystème forestier, qui sont très caractéristiques. Bien avant la généralisation des techniques modernes de culture du thé, nos ancêtres utilisaient des techniques de défrichement limité sous les canopées forestières pour créer des conditions d'éclairage idéales pour la croissance des théiers. Un écosystème forestier normal possède un mécanisme propre « vivant » que ces gens ont utilisé à leur profit pour produire des feuilles de thé biologiques de haute qualité sans recours aux pesticides ni aux engrais. De plus, la plantation d'arbres comme les osmanthes, les Tagera, et les camphriers dans ces anciennes forêts transmet leur arôme unique aux feuilles de thé, leur conférant un parfum naturel et supprimant certains parasites. Les différentes ethnies résidant dans la région depuis des générations adhèrent à la croyance que tout a un esprit, elles possèdent une foi unique dans le culte des ancêtres. Leur culture du thé est centrée sur l'harmonie, des règles villageoises de protection de l'écologie, ainsi que des coutumes de respect mutuel et d'amour. Cela a permis une connexion spirituelle profonde entre l'homme et le thé et l'homme et la nature qui perdure depuis des millénaires. 

En entrant dans ces villages, on peut observer un système social qui perdure depuis l'antiquité. Les sommets des montagnes proches des villages sont considérés comme sacrés par les locaux, servant de sources d'eau pour les villages et étant strictement protégés. Les anciennes forêts de thé, les forêts tampons et les villages sont situés entre 1200 et 1600 mètres d'altitude, avec des terres agricoles pour la culture des céréales et des légumes situées dans des zones de plus basse altitude, pour éviter toute perturbation des anciennes forêts de thé pendant les processus de défrichement et de plantation. Les peuples de ces monts croient que chaque village a son propre gardien spirituel, et la demeure de ce gardien est située au cœur du village. Pour recevoir la bénédiction du gardien, les villageois se regroupent autour de ce cœur spirituel. Ils utilisent des matériaux locaux comme le bambou et le bois pour construire leurs maisons, adoptant un style de logement sur pilotis avec le rez-de-chaussée surélevé pour s'adapter au climat humide et pluvieux. Cette répartition rationnelle et cette utilisation durable des terres pour la production, la vie quotidienne, et les besoins écologiques, centrées autour des anciennes forêts de thé, ont créé un environnement montagneux harmonieux où le thé prospère dans la forêt, les villages s'épanouissent au milieu des théiers, et les terres arables et autres activités de production se déroulent en dehors de la forêt. Cela représente un exemple exceptionnel d'agriculture forestière en montagne axé sur le développement durable. 

Les premiers habitants de la région ont très vite considéré la plantation de thé comme leur activité principale. La fonction du thé a évolué de médicinale à alimentaire, donnant naissance à une culture culinaire où le thé est consommé comme légume. Une expression courante parmi le peuple Bulang est : « On peut aller dans la montagne sans emporter de nourriture, mais pas sans 'Lá' (thé). » Lorsqu'ils vont cueillir le thé, les Bulang emportent généralement un peu de riz froid, un peu de sel et du piment. Ils n’emportent pas de légumes et cueillent des feuilles de thé fraîches à l'heure du déjeuner pour les manger trempées dans le sel et le piment. Les pratiques populaires actuelles de consommation du thé en salade et les œufs au thé sont une continuation de cette tradition alimentaire. 

Après le peuple Bulang, la région est progressivement devenue le foyer d'autres groupes ethniques, notamment les Dai, les Hani, les Wa, et les Han, transformant la région en un beau jardin de diversité ethnique et de coexistence harmonieuse. L'arrivée des Dai a grandement enrichi les techniques de plantation et de transformation du thé. 

La Chine est le berceau du thé, et les techniques traditionnelles de fabrication du thé sont principalement concentrées dans les quatre grandes régions théicoles du sud du Jiangnan, du nord du Jiangsu, du sud-ouest, et du sud de la Chine, au sud de la chaîne de montagne des Qinling et du fleuve Huai et à l'est du plateau tibétain. Au XIVe siècle, quand les Dai sont arrivés, ils ont apporté avec eux du thé compressé en galette. Cela a facilité grandement le stockage du thé et son transport sur de longues distances. Depuis lors, le thé des monts Jingmai est devenu non seulement un ingrédient médicinal et un délicieux plat de table, mais aussi une boisson unique et un cadeau courant dans les interactions sociales quotidiennes, évoluant graduellement en un produit commercial. Au cours des dynasties Ming et Qing, il a été désigné comme produit de tribut à l’empereur et la zone de plantation s'est progressivement étendue. 

Après la fondation de la République populaire de Chine, les forêts de thé ont été plus efficacement protégées, leur permettant de conserver leur taille et leur paysage. 

Aujourd’hui il y a cinq forêts de thé bien préservées, couvrant une superficie de 1 180 hectares, avec plus de 1,2 million de vieux théiers. La plupart des théiers ont une hauteur de 2 à 5 mètres, et les plus grands atteignent près de 12 mètres. Le thé est également notre principale source de revenu. Le revenu net moyen par personne ici est d'environ 20 000 yuans pour ce qui est de l'année dernière, et 90 % proviennent du thé. 

Vous êtes le gardien de la tradition des rituels d'offrande au dieu du thé. Quelle est la signification de cette coutume culturelle ?

S. G. : Le culte du dieu du thé aux monts Jingmai est une combinaison du culte d'adoration des ancêtres et d'adoration de la nature. La fête du dieu du thé a commencé à l'époque où le thé était utilisé comme médicament. Lorsque l’un des ancêtres des Bulang, Pa Ai Leng, était sur son lit de mort, la légende dit qu’il a laissé un message à son peuple : garder des bœufs et des chevaux serait inutile, car ils pourraient tous mourir dans des catastrophes naturelles ; accumuler de l'or et des trésors serait également futile, car ils pourraient être consommés ou utilisés ; mais conserver cette forêt de thé fertile permettrait aux générations futures d'avoir une ressource inépuisable. Par conséquent, les Bulang ont vénéré Pa Ai Leng comme le dieu du thé, lui offrant chaque année en avril les meilleures feuilles de thé du printemps, invoquant l'esprit du thé au temple du thé, et priant pour la bénédiction des villages. De plus, chaque famille Bulang a son propre « arbre spirituel » dans la forêt de thé, qu'elle vénère comme son dieu du thé personnel. Outre les Bulang, les habitants Dai vénèrent également leurs arbres-dieux du thé et considèrent leur chef tribal Zhaonuola, qui a mené leurs ancêtres aux monts Jingmai, comme leur dieu du thé. 

Le rituel de vénération du dieu du thé est un lien entre le passé, le présent et l'avenir des peuples de toutes les ethnies. Il s'agit d'un héritage qui maintient l'ordre social et renforce les normes morales des cultivateurs de thé. Nous devons honorer nos promesses envers le dieu du thé lors des cérémonies, en prêtant serment aux ancêtres et aux dieux de la nature : protéger l'environnement de l'ancienne forêt de thé et assurer que notre réputation personnelle reste intacte. 

La cérémonie nécessite la participation conjointe des villages des environs. Le village Bulang de Wengji est responsable de la plantation des piquets pour les bovins, le village Dai de Nuogang est en charge de la fabrication des cordes pour les attacher, et le village Wa de Nanzuo fournit la source d'eau de montagne que Pa Ai Leng et sa femme consommaient... Cette participation collective dans les rites du dieu du thé s'est transformée en une interaction communautaire, jouant un rôle crucial dans la promotion de l'unité ethnique et soulignant l'importance de l'harmonie entre l'homme et la nature. 

Comment prévoyez-vous de protéger et de perpétuer le site désormais inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO à l’avenir ? 

S. G. : La forêt de thé est notre lieu de production ; le thé est notre principale source de revenus. Nous devons protéger l'ancienne forêt de thé et la culture du thé aussi soigneusement que nous protégeons nos yeux. 

Le travail de candidature à l’UNESCO a commencé en juin 2010 et s'est poursuivi pendant 13 ans jusqu'à présent. Avec cette reconnaissance, non seulement l'authenticité et l'intégrité du patrimoine pourront être efficacement protégées, mais un système de gestion et de surveillance légal a été progressivement mis en place. Ces dernières années, la province du Yunnan et la ville de Pu'er ont successivement promulgué et mis en œuvre trois lois spéciales et sept règlements, complétant la compilation et l'organisation de près de 177 lois et réglementations en vigueur. 

Les peuples autochtones jouent un rôle central, en favorisant la transmission de la culture locale, de la protection de l'environnement et du développement durable. Ils doivent veiller à éviter une commercialisation excessive et à préserver l'authenticité et l'intégralité du patrimoine. De plus, il est important de promouvoir la marque culturelle de la localité, de continuer à explorer la valeur culturelle de nos forêts et de perpétuer l'écologie intelligente de l'harmonie entre l'homme et la nature. Le dicton dit : « les villages sont construits dans la forêt de thé, la forêt de thé est cachée dans la forêt ». Le suivre à la lettre maintiendra la notoriété et la réputation des monts Jingmai. 

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Photos : Xinhua




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