Mythologies chinoises : récits philosophiques sur la vision du monde

1691404447026 China News Xu Jing

Les mythes de la création correspondent à des récits originaux qui expliquent les débuts de l’humanité sur terre. Ils expliquent, de manière scientifique ou mythologique, les origines d’un peuple ou du genre humain en général. Les mythes de la création façonnent durablement la culture d’une nation, et jettent également les bases d’une civilisation. Dans le cas de la Chine, les mythes de la création apparaissent sous la forme de récits mythologiques. 

De quelle nature sont-ils ? Qu’est-ce qui les distingues des mythes occidentaux ? Pour répondre à ces questions, le média China News est allé à la rencontre de Bi Xuling. Directrice du centre de recherche sur les études du patrimoine à l’école de littérature de l’Académie des sciences sociales de Shanghai, Bi Xuling est spécialisée sur les récits originaux et plus précisément sur les mythes de la création du monde, notamment en Chine. 

Vous avez récemment publié vos travaux sur la généalogie des principaux personnages des mythes chinois de la création. Ils ont suscité beaucoup d’engouement de la part du public et ils ont comblé certaines lacunes qui persistaient dans les études antérieures. En quoi cette généalogie est-elle importante et en quoi participe-t-elle à la diffusion des savoirs sur les mythes chinois de la création ? 

Tout d’abord, permettez-moi de préciser que j’ai réalisé ce travail dans le cadre de la rédaction de mon livre « La construction des origines d’une civilisation : la généalogie chronologique des mythes chinois de la création ». Il faut bien comprendre que les mythes de la création permettent tout d’abord de construire un discours sur la mythologie d’une civilisation. Pour les États et l’ensemble des nations du monde, ces mythes sont d’une importance stratégique. 

La généalogie des récits chinois que j’ai établie retrace à la fois leur caractère spécifique et en même temps les points communs qu’ils partagent avec les autres mythes dans le monde. En fait, tous les peuples de tous les pays peuvent comprendre les origines culturelles et spirituelles de la Chine, en étudiant les mythes chinois de la création. Quand on étudie les mythes chinois, on peut comprendre pourquoi le peuple chinois est si attaché à la paix, mais aussi pourquoi il a le goût de l’effort et le sens du sacrifice. Aujourd’hui, avec le principe d’une « communauté de destin commun pour l’humanité » – le concept des relations internationales inventé par le Parti communiste en 2012 et inscrit dans la constitution – il devient de plus en plus indispensable de promouvoir une coopération dans le domaine culturel et spirituel. Les mythes chinois de la création peuvent, à ce titre, fournir un moyen de présenter la culture chinoise au reste du monde. 

Certains affirment qu’il n’existe pas vraiment de mythe de la création dans la culture chinoise. Que pensez-vous de cette affirmation ? 

L’idée qu’il n’y a pas de mythe chinois de la création est fausse. Cela peut notamment s’expliquer par une forme d’ethnocentrisme, qui existe dans la civilisation occidentale. Aujourd’hui encore, certaines personnes ne jurent que par la mythologie grecque. Ils pensent que l’on peut facilement retracer toute la mythologie grecque, depuis l’histoire de dieux grecs, de Zeus et du Mont Olympe. Tandis que dans le cas de la Chine, leur connaissance des mythes ne se limite qu’à quelques histoires parcellaires comme le voyage de Chang'e sur la lune ou encore l’histoire du mari de la déesse lunaire Chang’e, l’archer mythique Houyi, qui abat neuf soleil avec son arc et ses flèches. 

En réalité, la continuité de la mythologie grecque n’est pas un phénomène qui va de soi. Si cette mythologie nous est aujourd’hui si familière, c’est en grande partie grâce au travail du poète allemand Gustav Schwab en 1840. À y regarder de plus près, les mythes chinois de la création ont même été formés plus tôt que les mythes de la Grèce antique. Dès la dynastie des Zhou occidentaux (1046-771 av. J.-C.), certains mythes chinois étaient même déjà apparus. Le « Shiji », parfois aussi appelé « Mémoires du Grand Historien » de l’historien chinois Sima Qian (145-87 av J.-C.), établit lui-même un recueil de la généalogie mythologique des « Cinq Empereurs ». De même, entre la période des « Trois Royaumes » (220-280) et la dynastie des Jin occidentaux (265-317), l’écrivain Xu Zheng, originaire du Jiangnan, avait déjà écrit la première monographie sur les mythes chinois de la création.

Que reste-t-il des mythes chinois de la création dans la pensée chinoise actuelle ?

Les mythes chinois de la création sont le reflet de la philosophie et la vision du monde de notre nation chinoise. Ils incarnent notre unité culturelle, notre intégration sociale, notre système de pensée et nos normes éthiques. Ils sont d’une importance fondamentale pour notre civilisation. Les mythes qui introduisent la formation de notre communauté nationale sont particulièrement remarquables. Certains établissent par exemple des liens de parenté entre les chefs des célèbres confédérations tribales de la société chinoise primitive avec l'Empereur jaune (le souverain civilisateur mythologique de la haute Antiquité chinoise, qui aurait régné de 2 697 à 2 598 av. J.-C.). On peut citer le cas de Yandi, frère de l'Empereur Jaune et ancêtre des Huaxia (noyau de la future ethnie Han), mais aussi de Zhuanxu, un des petits-fils de l'Empereur Jaune, (faisant également partie des souverains mythiques de l’Antiquité chinoise, le deuxième des Cinq Empereurs), ou encore de Diku, arrière-petit-fils de l'Empereur Jaune. Il y a aussi Diyao, quatrième petit-fils de l'Empereur Jaune, Dishun, huitième petit-fils de l'Empereur Jaune et enfin Dayu, (aussi appelé parfois Yu le Grand), quatrième petit-fils de l'Empereur Jaune.   

Dans le même temps, ces dieux ancestraux sont liés à des groupes ethniques situés en dehors des « plaines centrales », considérées jusqu’à récemment comme le berceau de la civilisation chinoise. Ces récits mythologiques ont pour point commun de renvoyer les origines de tous les groupes ethniques vivant sur le territoire chinois à l'Empereur Jaune et à l'Empereur Yan. Ils constituent donc de solides fondements culturels et spirituels, et c’est sur eux que repose notre sentiment d’identité nationale aujourd’hui. 

Quelles sont les différences entre la Chine et l’Occident dans le domaine des mythes de la création ? 

Les mythes chinois de la création se manifestent principalement sous la forme de prose, tandis que les mythes occidentaux de la création se manifestent principalement sous la forme de rimes et d’épopée, comme l'Iliade, du poète grec Homère. Les premiers mythes chinois de la création ont également été diffusés sous la forme de poésies. On peut citer par exemple le « Classique des vers » (qui s'est d'abord appelé les Poèmes, ou les « Trois Cents ») pendant la dynastie des Shang (1570-1045 av. J.-C.), ou encore les textes « Daming » et « Mian », en tant qu'épopées mythologiques de la dynastie Zhou (1046-256 av. J.-C.). Il faut cependant rappeler que la langue écrite de la Chine avait été développée encore plus tôt, et que ces épopées n’avaient été enregistrées dans la littérature que sous la forme d’une langue écrite, plutôt distinguée, qui n'avaient plus besoin d'être chantés oralement par des bardes de manière folklorique, comme dans le cas d'Homère. 

Compte tenu de la richesse du langage humain et des progrès de la société, les mythes ont par la suite occupé un rôle toujours plus important dans la construction des cultures. La brièveté des poésies n’était bientôt plus adaptée à cette nouvelle fonction, si bien que les mythes chinois sont progressivement passés de la poésie à la prose. Ils sont ensuite devenus un matériau important pour la construction d’un sentiment national chinois, et ont été incorporés dans des documents historiques. 

À ce titre, les mythes chinois de la création chinois et leurs équivalents occidentaux ont fait l’objet d’un traitement comparable. Les mythes de création chinois ont été transmis continuellement pendant des générations et ils ont été dotés de nouvelles fonctions politiques, historiques et culturelles au fil des dynasties qui se sont succédé dans l’histoire de notre pays. L'intrigue et le contenu des récits mythologiques ont été modifiés, mélangés. C’est cette modification qui a finalement permis la transmission de nos récits mythologiques dans l’histoire. Ce processus a été aussi vrai pour les mythes de la Grèce antique. Par exemple, après l’invasion de la Grèce par la République romaine, les Romains ont créé le mythe de l’Énéide, qui s’inspire lui-même du contenu de l’Iliade de Homère. Après avoir détruit l'Empire romain d'Occident, les Germains avaient eux aussi créé un « récit mythologique de l'ancêtre germanique », considéré comme un parent de l'Énéide, sur la base des anciens mythes gréco-romains. Ils avaient ainsi souhaité rationaliser leur agression contre la Rome occidentale et leur domination de l'Europe.

Peut-on considérer que la mythologie constitue un élément clé de l’ouverture de la Chine sur le monde ? 

Le mythe chinois de la création est un symbole culturel important qui permet de distinguer la nation chinoise des autres nations du monde. C'est aussi un support qui permet aux citoyens du monde entier d'approfondir leur compréhension de la civilisation chinoise. Ils constituent un important élément de notre « soft-power ». Les images et les intrigues utilisées transcendent le temps et l'espace. Ils sont facilement acceptés par les personnes issues d’autres pays et nationalités. 

Ces dernières années, la diffusion des mythes chinois a connu un véritable essor dans le monde entier. Par exemple, les images des dieux et des animaux traditionnels chinois apparaissent désormais dans de nombreux films occidentaux, comme Di Jiang dans le film « Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux », Zouyu ou le Qilin dans la trilogie « Les Animaux fantastiques ». Ces animaux sacrés sont des incarnations importantes de l'amour de la paix, mais aussi de l’optimisme du peuple chinois qui reste ancré en nous depuis des générations. Même si, comparée à la richesse exceptionnelle de notre mythologie, ces diffusions sont encore loin d’être suffisantes. Il reste donc encore beaucoup à faire.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.



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