Entre humour et amertume, The Long Season, dresse, au gré du dénouement d'un meurtre, le portrait d'une génération d'ouvriers chinois dans les années 1990.

Sous le soleil doré, un vieux train traverse le champ de maïs à perte de vue. Sourire au coin des lèvres, Wang Xiang (Fan Wei), jeune conducteur fringant de train issu d’une entreprise d’État, savoure ce moment d'optimisme. On est en 1997, à Hualin, ville fictive dans le nord-est de la Chine. Un premier plan féérique et énigmatique. Car s'ensuit une autre scène plus réaliste tournée en 2016 dans le même endroit. L’homme au poste convoité est devenu chauffeur de taxi. Il s’éclipse pour faire ses besoins dans la nature, et s’en excuse pour « son âge » auprès du client impatient. L'âge de l’insouciance et de la grandeur fait place à la trivialité et à la pesanteur de la vieillesse. Le fil conducteur est soigneusement tissé depuis le début.

Mais que s’est-il passé au cours de ces deux dernières décennies ? Une étrange usurpation de plaque d’immatriculation fait ressurgir le spectre d’un meurtre. Un corps démembré, un fils décédé, une famille éclatée… 20 ans après, le trio de détectives papis, aussi improbable que savoureux, composé de Wang Xiang, son beau cousin Gong Biao (Qin Hao) et l’ancien chef de police Ma Desheng (Chen Minghao), décide de poursuivre l’enquête. 

L'alternance entre passé et présent, rire et douleur, discrète mais fluide, s’enchaîne tout au long du récit. Cultivant un sens aigu de l'esthétique, Xin Shuang, réalisateur et ancien guitariste du groupe Joyside, soigne la forme autant que le fond. Comme pour The Bad Kids, sa première série en tant que réalisateur, il a mis le curseur artistique très haut. Sortie en avril, The Long Season, mini-série de 12 épisodes, a fait sensation en Chine. Notée à 9,4/10, elle figure parmi les séries chinoises les mieux appréciées sur Douban. 

Un scénario ciselé, des répliques ingénieuses, des situations burlesques, une bande originale envoûtante, un montage magistral, et une mise en scène tout en finesse… Dans ce drame doux-amer, on trouve presque les mêmes ingrédients qui ont fait le succès phénoménal de The Bad Kids. Sauf qu’ici, Xin Shuang a choisi de planter le décor dans le nord-est chinois, sa terre natale et l'ancien poumon industriel, devenu aujourd'hui la « ceinture de rouille » de l'empire du Milieu. De la gloire à la désillusion, le Dongbei, littéralement « nord-est » en chinois, constitue un terreau fertile de la création artistique. Du documentaire À l'ouest des rails (2003) de Wang Bing, à Black Coal, Thin Ice (2014), sacré Ours d’or à la Berlinale, en passant par le sublime The Piano in a Factory (2010), le cinéma chinois n'a cessé de puiser ses inspirations dans cette terre promise déchue. Les aléas du destin s'entremêlent avec les bouleversements sociaux et économiques, créant forcément une tension dramatique palpable. Le drama n’échappe pas à ce schéma narratif : le macabre dénouement de l’enquête est aussi un prétexte pour brosser le portrait d’une génération d'ouvriers chinois souffrant d’un grand plan social suite à la période faste pour les entreprises publiques installées au Dongbei. 

Mais contrairement à ses confrères préférant mettre en avant l'hiver glacial et neigeux du nord-est de la Chine, Xin Shuang a eu l’audace de valoriser le côté coloré et chatoyant des paysages de sa région natale en plein automne. Un parti pris esthétique, mais surtout une volonté féroce de sortir des sentiers battus. Son exploration artistique ne s'arrête pas là. Pour la première fois, des héros seniors se trouvent au centre du jeu d'un thriller. Le quotidien burlesque, les méandres de l'amour et de l'amitié, ces « losers magnifiques » apportent une touche attachante et sensible à ce petit bijou de série chinoise. 

The Long Season 漫长的季节

Série disponible sous-titrée en anglais sur Tencent Video
Genre : drame, thriller
Diffusion : avril 2023
Production : Tencent
Réalisé par Xin Shuang
Avec Fan Wei, Qin Hao, Chen Minghao, Li Gengxi

Photos : Tencent

Photo du haut : compte officiel Weibo de la série