
La porcelaine de Jian : une technique de céramique retrouvée 800 ans plus tard
La porcelaine de Jian, ou Jian zhan en chinois, aussi parfois appelée par la dénomination japonaise tenmoku, est un type de porcelaine traditionnelle originaire de Chine qui utilise un grès aux caractéristiques particulières. Son nom provient du district de Jianyang dans la ville de Nanping, province du Fujian. Les terres minérales de cette région contiennent une grande quantité d'éléments métalliques qui, lorsqu'ils sont soumis à de hautes températures, subissent des réactions chimiques produisant des coloris chatoyants, donnant à la porcelaine de Jian sa surface noire, bleue ou rouge-brun, très différente de la porcelaine blanche habituelle.
Dès l'époque des dynasties Song et Yuan (Xe - XIVe siècle), la porcelaine de Jian a attiré de nombreux adeptes au Japon, en Asie de l'Est, mais aussi en Europe. Aujourd'hui, des musées tels que le Metropolitan Museum of Art aux États-Unis et le British Museum au Royaume-Uni en conservent de précieux exemplaires anciens. Yang Zelin, conservateur à l'Institut d'archéologie de la province du Fujian, spécialiste des céramiques, explique comment cet art s’est fait connaître dans le monde.
La porcelaine de Jian est souvent utilisée dans les activités liées à la culture du thé, et a été de tout temps très appréciée des lettrés et poètes. Comment a-t-elle émergé et évolué ?
L'esthétique sous la dynastie Song (960 – 1279 de notre ère) valorisait la simplicité, la retenue élégante et la poursuite de l'authenticité naturelle. C'est précisément cette idéologie esthétique qui a fourni le terreau intellectuel pour l'émergence de la porcelaine de Jian à cette époque.
L'émergence de la culture du thé y a fourni un environnement social favorable. L'évolution de la manière de le boire, la conception de la porcelaine ainsi que la texture de l'émail, ont fait du Jian zhan l’apogée de l’art de la céramique. Cai Xiang (1012 – 1067, célèbre calligraphe de la dynastie Song, ndt), dans ses Notes sur le thé écrit : « Pour le bol à thé, si le thé est blanc, il convient d'utiliser un bol noir. Ceux fabriqués à Jian'an sont d'un noir pourpre, avec des motifs similaires à ceux des poils de lapin, et leur pâte est légèrement épaisse. Quand on les chauffe, ils restent longtemps chauds et sont difficiles à refroidir, ce sont les meilleurs. Ceux provenant d'autres endroits sont soit trop minces, soit de couleur pourpre, tous inférieurs. Les bols verts et blancs ne sont pas utilisés par ceux qui testent le thé. »
Les fouilles archéologiques au fil des années ont confirmé que dès la fin de la période des Cinq Dynasties et au début des Dynasties du Nord (Xe siècle environ), le four d'Anweishan à Jian commençait à produire des bols à glaçure noire, avant d’en produire en masse, comme en témoignent non seulement le grand nombre de fours, mais aussi leur longueur exceptionnelle, le plus long atteignant 135 mètres, un record mondial.
Il existe une sorte de bol à thé en porcelaine rarement vu en Chine mais qui s’est diffusé au Japon, décoré avec de l'or et de l'argent, appelé en japonais « tenmoku doré ». D'où provient-il ?
La peinture en or et argent est une technique qui consiste à peindre des motifs en or et argent sur un bol à glaçure noire déjà cuit, c'est une sorte de couleur sur glaçure. Actuellement, il y a très peu de reliques de bols peints en or et argent dans le monde, et les lieux de production confirmés incluent des fours retrouvés à Ding, Jizhou, Jian et Yulinting.
Parmi eux, les bols à glaçure noire peints en or et argent retrouvés à Yulinting sont les plus nombreux et ont les motifs les plus variés. En tant qu'un des importants patrimoines culturels de la région des monts Wuyi, au Zhejiang, le four de Yulinting a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel et naturel mondial de l'UNESCO, ses produits sont principalement des imitations de bols à glaçure noire du four Jian.
De 1998 à 2000, lors des fouilles archéologiques d'urgence réalisées pour accompagner la construction de la route vers les monts Wuyi pour les besoins du tourisme, une superficie de plus de 3 300 mètres carrés a été fouillée, révélant deux fours et un atelier. Les vestiges de l'atelier découverts sont très riches, incluant des plateformes de travail, des fondations de murs, des bassins de lavage, des routes, des puits, des fosses à cendres, des canaux de drainage, etc., reflétant le processus complet de fabrication de la porcelaine à Yulinting.
La découverte la plus importante a été un lot de bols peints en or et en argent déterrés dans la zone de l'atelier. La peinture sur la surface de l'émail s'est détachée, ne laissant que des traces, avec des motifs de paysages, d'oiseaux et de fleurs, ainsi que des caractères. Ces peintures, en termes de composition, présentent des dispositions soignées et complètes de grues, de paons, de pruniers, de bambous et de motifs floraux, avec un contraste entre le plein et le vide et une technique de peinture habile. En termes de combinaison de couleurs, la glaçure noire profonde et sobre est contrastée par des couleurs d'or et d'argent vives, faisant ressortir la peinture. Tous les motifs sont dessinés avec des points et des lignes, principalement des lignes, avec des traits de pinceau fluides, pleins et ronds, à la fois réalistes et expressifs, donnant un fort impact visuel.
En raison de la particularité de son processus et de son coût élevé, les bols peints en or et argent, même dans la riche société de la dynastie Song, ne pouvaient répondre qu'aux besoins d'une petite partie de la population et constituaient des raretés.
Comment se fait-il que la porcelaine de Jian ait commencé à être exportée à l'époque de la dynastie Song ?
À l'époque, le commerce maritime était prospère, avec des routes commerciales maritimes allant vers le Japon, la Corée et l'Asie du Sud. Une grande quantité de thé, de soie et de porcelaine chinoise a été exportée, et la culture du thé s'est ainsi répandue dans le monde entier.
La manufacture Jian a augmenté sa capacité de production pour répondre à la demande des marchés intérieurs et étrangers, d'une part en augmentant la longueur des fours, la plupart des fours de Jian mesurant plus de 70 mètres, avec de nombreux fours dépassant 100 mètres, permettant une production de plusieurs dizaines de milliers de pièces en une seule cuisson. D'autre part, les formes des bols de Jian sont devenues de plus en plus variées, avec des bords resserrés, évasés, ouverts, fermés, et une variété de motifs sur la surface émaillée, tels que des motifs en « des poils de lapin », en « gouttes d'huile », en « taches de perdrix », etc., pour répondre aux goûts de différents groupes de personnes ; en même temps, de nouvelles variétés ont été constamment créées pour répondre aux besoins de différentes couches sociales.
Grâce à son charme artistique unique et à sa fonctionnalité, la porcelaine de Jian a émerveillé le monde et est devenu un messager culturel particulier dans le commerce extérieur de la dynastie Song.
Pourquoi les Japonais apprécient-ils particulièrement la porcelaine de Jian ?
Sous l'influence de la philosophie zen, l'esthétique des gens de la dynastie Song a tendu vers la nature, la simplicité et la tranquillité. Les bols à glaçure noire produits par la manufacture de Jian à Shuiji, Jianyang, avec leurs motifs naturels, correspondaient à l'esthétique minimaliste des lettrés de la dynastie Song qui vénéraient la nature. Ces bols étaient utilisés comme cadeaux pour la cour royale et étaient vivement promus par le souverain suprême. L'empereur Huizong des Song non seulement a loué la porcelaine de Jian, mais a également écrit des poèmes pour exprimer son plaisir lors des compétitions de thé.
Pendant la dynastie Song, le Japon a envoyé un grand nombre de moines en Chine
pour étudier. Ils ont appris la philosophie zen chinoise tout en étudiant la
culture du thé. Parallèlement, des moines zen chinois se sont rendus au Japon
pour enseigner, apportant avec eux leur culture du thé. Les idées esthétiques
du zen chinois ont grandement influencé la pensée, la culture et l'art des
Japonais, ce qui a progressivement conduit à la formation de la cérémonie du
thé japonaise, basée sur la théorie du zen. Les bols de Jian, avec leur texture
naturellement épaisse, leur couleur profonde et leur toucher froid et
silencieux, ont porté ces idéaux esthétiques. Les nobles et les temples de
samouraïs organisaient souvent de grandes cérémonies de thé et étaient fiers de
posséder des porcelaines de Jian.
Après avoir disparu pendant plus de 800 ans, l'artisanat de la porcelaine de Jian a finalement été restauré. Comment continuer à promouvoir cet art ?
En septembre 1979, un groupe de recherche composé de l'Académie centrale des arts et métiers et de la Commission provinciale des sciences et technologies du Fujian a commencé une expérimentation en reproduisant des bols de thé en porcelaine de Jian d'inspiration ancienne. Après près de deux ans d'essais répétés, ils ont réussi à reproduire des bols de thé dit à « poils de lapin » de la dynastie Song, en mars 1981. Depuis lors, l'artisanat de porcelaine de Jian a fait son retour sur le marché.
Pour qu'il continue d'être le vecteur de la culture chinoise dans le monde, il faudrait procéder comme suit : premièrement, la Chine devrait pleinement exploiter les avantages des marques « Jianyang » et « Porcelaine de Jian », apposés sur de produits protégés par une indication géographique nationale. Il faudrait établir des lois et règlements pertinents pour renforcer la protection de ces marques ; il faut soutenir activement la création de magasins spécialisés en vente directe de cette porcelaine et établir un système de marketing complet, avec divers modes de vente en ligne tels que le live-streaming ; cela ne va pas sans établir des normes industrielles pour l'inspection et le contrôle de la qualité de la porcelaine.
Deuxièmement, il faudrait intensifier les recherches sur le Jian zhan et former davantage de talents. Troisièmement, il faudrait accélérer la candidature de la région au rang de parc national archéologique, qui s’appuie sur un riche héritage historique de la porcelaine. Enfin, il serait bon d’organiser un festival culturel international de Jian zhan et de tenir des conférences internationales de discussion et d'échange, avec des expositions internationales en ligne et hors ligne et des activités de promotion à l'étranger.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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