
Les dessous de la chute du yuan face au dollar
Sur le marché des changes, l’événement le plus marquant de l’année 2022 est la rapide progression du dollar face à la plupart des principales monnaies du monde, dont l’euro, la livre sterling, le yen, le yuan (devise nationale de la République populaire de Chine, aussi appelée RMB – abréviation de Renminbi, qui signifie monnaie du peuple).
Jusqu’à présent, l’euro a perdu 11 % de sa valeur, la livre sterling plus de 14 %, le yen près de 20 % et le yuan 8 %. Toutefois, même si la baisse du yuan vis-à-vis du dollar est la moins forte comparée à celle de toutes les autres devises citées, son ampleur a surpris. Ainsi, par exemple le 28 septembre 2022, la monnaie chinoise s’est affaiblie au-delà du seuil psychologiquement important de 7,2 par dollars, son plus bas niveau depuis 2008 !
Que s’est-il passé ?
Depuis le 2e trimestre 2021, l’inflation n’a cessé de s’envoler aux États-Unis, passant de 6,2 % en octobre 2021 à 9,1 % en juin 2022, avant de retomber à 8 % en moyenne au cours des trois derniers mois. Du jamais vu depuis quarante ans ! À cela plusieurs explications, dont principalement : l’injection massive de l’argent dans l’économie américaine via un plan d’assouplissement quantitatif de 3 000 milliards de dollars, visant à stimuler une croissance nettement ralentie durant la crise sanitaire ; un déséquilibre structurel et chronique qui ne cesse de croître entre l’offre – que l’industrie américaine ne parvient plus à satisfaire après des décennies de désindustrialisation – et la demande ; le protectionnisme commercial, en particulier la guerre commerciale contre la Chine, avec pour conséquences la hausse significative des droits de douanes et la hausse des prix des produits importés ; le grave dysfonctionnement de la chaîne d’approvisionnement, dû à la pénurie d’ouvriers dockers et de camionneurs qui a provoqué, entre autres, la pénurie de composants clés pour l’industrie manufacturière ; enfin, le conflit russo-ukrainien, qui a entraîné la flambée des prix du pétrole et du gaz.
Afin de juguler l’inflation et, surtout, de l’amener à l’objectif de 2 %, la Fed (banque centrale américaine) a procédé à cinq relèvements de taux, désormais situés entre 3 et 3,25 %. Résultat : les rendements des obligations américaines – c’est-à-dire des actifs sans risques et considérés comme valeurs refuge – ont rapidement augmenté, le taux américain à 10 ans ayant dépassé 3,5 % et les taux à 2 ans ont dépassé les 4 %. Ce qui n’a pas manqué d’attirer les capitaux du monde entier vers le marché obligataire américain, entraînant ainsi la hausse du dollar et la baisse des autres monnaies, dont le yuan.
Accord entre les États-Unis et la Chine
Cependant, selon Yan Ansheng, rédacteur en chef de l’Hérault de l’économie de Hong Kong, la forte baisse du yuan face au dollar n’est pas justifiée. En apparence, celle-ci résulte de la hausse du dollar, comme c’est le cas pour les autres principales devises. Mais en réalité, « la santé de l’économie de la Chine, sa résilience et son potentiel de développement sont meilleurs que ceux des États-Unis ». Yan Ansheng estime que non seulement le yuan était tout à fait en mesure de ne pas suivre le mouvement baissier, mais « en plus, il pouvait même s’apprécier face au dollar ».
Il considère que la chute du yuan contre le dollar s’explique aussi par un compromis signé entre les États-Unis et la Chine. Le 26 août 2022, les deux pays ont conclu un accord sur la supervision des audits, et ce dans un contexte éminemment politique. D’abord, l’administration Biden ne pourrait pas réaliser son objectif de 2 % d’inflation sans la « coopération » de la Chine. Pour une raison évidente : le marché américain de la consommation est hautement tributaire des produits Made in China. Un yuan fort renchérirait les importations en provenance de la Chine et pénaliserait la croissance américaine. Selon Yan Ansheng, c’est la raison pour laquelle Janet Yellen, secrétaire au Trésor de l’administration Biden, a longuement échangé avec Pékin sur la parité yuan/dollar – entre autres sujets épineux – avant que les États-Unis ne relèvent ses taux. Ensuite, la signature d’un tel accord a eu lieu au moment où les États-Unis ont interdit l’introduction en Bourse d’un nombre croissant d’entreprises chinoises, suspectées d’avoir des liens avec l’armée chinoise.
Pour Yan Ansheng, le gouvernement américain aurait changé d’attitude à l’égard des sociétés chinoises cotées sur son marché, en échange de l’engagement de la Chine de ne pas laisser sa monnaie s’apprécier face au billet vert.
Soutien aux exportations
Il convient cependant de noter que la baisse du yuan face au dollar relève aussi d’une nécessité qui s’impose actuellement. En effet, la croissance chinoise ayant nettement ralenti au 2e trimestre 2022 en raison du Covid-19 (tombant à 0,4 % contre 4,8 % au 1er trimestre), la Banque centrale chinoise a abaissé ses taux pour la stimuler, au lieu de les relever à l’instar de son homologue américaine. Ainsi par exemple, le 22 août, le taux des prêts à un an a été ramené de 3,70 % à 3,65 % ; ce qui, selon Wang Yongli, ex-directeur de la Bank of China, a provoqué la récente baisse rapide du taux de change du yuan. Et un yuan qui se déprécie stimule la demande extérieure et favorise ainsi les exportations chinoises.
Objectif : un yuan stable
Cependant, un yuan trop faible par rapport au dollar pénalise en particulier les importations, d’autant que la Chine est le premier importateur mondial de quasiment toutes les matières premières (pétrole, minerai de fer, bois, soja…). Le renchérissement des prix des produits importés entraînera une hausse des coûts de toute la chaîne industrielle, qui au final sera répercutée sur les consommateurs.
Pour la Chine, l’objectif est de contenir la parité yuan-dollar dans une fourchette raisonnable par rapport à sa santé économique et en fonction de l’évolution du dollar. À court terme, la tendance baissière du yuan devrait se poursuivre. D’une part – en raison notamment de l’impact de la crise sanitaire sur l’industrie manufacturière, les investissements privés, l’activité commerciale et la consommation –, les facteurs qui soutiennent le scénario baissier ne disparaîtront pas de sitôt. Certes, le gouvernement chinois a pris de nombreuses mesures pour stimuler la croissance, dont les réductions et/ou les exonérations d’impôts, les exonérations de cotisations sociales pour certaines entreprises, les émissions d’obligations spéciales d’un montant de 1 000 milliards de yuans (144 milliards d’euros), les investissements d’infrastructures massifs dans la construction de réseaux 5G, l’internet des objets, le transport intelligent, l’énergie intelligente, etc. Mais il faudra du temps pour les voir produire des effets significatifs. D’autre part, pour juguler l’inflation, la Fed devra continuer à relever ses taux au moins jusqu’à début 2023.
L’évolution de la monnaie chinoise dans un canal baissier a poussé des traders à procéder à des ventes à découvert. La chute du yuan du 28 septembre en est la conséquence directe. Pour y remédier, la Banque centrale chinoise a eu recours à deux mesures de régulation : le relèvement du taux de réserves obligatoires en devises, et le relèvement du taux de réserves obligatoires contre les risques de change pour les ventes de devises à terme. L’un comme l’autre ont pour but de rendre la vente de yuans et l’achat de dollars plus coûteux. Les autorités monétaires chinoises disposent d’autres « munitions » pour enrayer la chute du yuan : ses 3 000 milliards de réserves de change, son important stock d’or, ses actifs en droits de tirages spéciaux…
Mais à moyen terme, le yuan devrait s’apprécier progressivement par rapport au dollar. Car les fondamentaux de l’économie chinoise n’ont pas changé : la Chine reste toujours le plus grand pays émergent du monde avec un potentiel de développement important, elle possède un gigantesque marché intérieur et, enfin, elle n’a pas terminé sa phase d’industrialisation et d’urbanisation. Il y a donc fort à parier qu’une fois l’épidémie passée, l’économie chinoise pourra rebondir, soutenant ainsi le cours du yuan.
Photo : Unsplash
Commentaires