« Les Routes de la soie ne mènent pas où l’on croit » de Claude Albagli

1610446228792 Chine-info Jean-Claude Lévy

Édité aux Éditions L’Harmattan en 2020, cet ouvrage de Claude ALBAGLI est le fruit francophone d’un Colloque organisé sur les Routes de la Soie – en chinois « Une ceinture, une route » – à l’Université LAVAL à Québec ; il est aussi le produit de l’expérience acquise par son auteur au cours d’une quarantaine des séjours en Chine, durant une trentaine d’années.

 

Présentation

 

Le lancement des « Routes de la soie » par Xi Jinping en 2013 n'avait suscité qu'une attention distraite de l'Occident. Or, contrairement à la mondialisation dominée et régulée par les Etats-Unis, la Chine ne déploie pas son emprise sur les bases d'une puissance établie, mais elle fait de son déploiement international, les assises de son émergence. Elle ajuste sa stratégie au gré des résultats ou des circonstances pour en faire le sentier inédit de sa réussite. L'ouvrage replace les logiques annonciatrices de cette sino-mondialisation en présentant étapes, défis et enjeux au cours d'un parcours planétaire stupéfiant. Cette quatrième mondialisation aboutira-t-elle ?

 

L’historien et géographe Jean-Claude Lévy propose ici un résumé détaillé de l’ouvrage à travers ses observations et son analyse des sujets.

 

Economiste de formation, Cl. Albagli a par ailleurs une longue expérience de l’Afrique de l’Ouest : il préside l’Institut CEDIMES (Réseau académique international francophone). L’ouvrage est précédé d’une préface de Jean-Pierre RAFFARIN et d’un avant-propos du Pr. ZHAN SU (U. Laval à Québec). Il présente d’une façon cohérente les enjeux de la stratégie contemporaine du gouvernement chinois en 2020, depuis Deng Xiaoping à nous jours. Ce livre enracine cette stratégie, bien documentée, dans l’Histoire et dans la Géographie de la Chine, quoi qu’il s’agisse d’une cible surtout d’aujourd’hui, en même temps qu’une pandémie surgit en 2020 et maximise la crise économique de 2008. Et cette pandémie paraît révéler de surcroît les faiblesses du « modèle » socio-économique « occidental », en face du déploiement récent de « l’économie socialiste de marché », affichée par l’ensemble territorial, économique, social et politique chinois.

On comprend comment ce déploiement en crise économique, écologique, sanitaire, numérique et sociale, embrasse et simultanément embarrasse la puissance occidentale. L’Occident paraît alors en réaction souffler sur les braises d’une sorte de guerre froide, à l’encontre d’un géant économique – la Chine, « république du Milieu » – qui elle-même se déploierait sans frontières à la faveur d’une sorte d’écheveau de « routes de la soie » concoctées bilatéralement avec la plupart des États continentaux ou non – que ces routes concernent.

À la lecture de cet ouvrage on observe la modernité de cet empire du Milieu, qui n’a toutefois jamais véritablement eu de Centre, en dehors de capitales girovagues (dans le désordre 7 ou 8, de Loyang à Pékin en passant par Xi’an ou Nankin). Cet « empire » tend désormais à se déployer à l’échelle d’une planète réputée abusivement « occidentale », tandis que le Moyen-Orient et l’Amérique Latine se trouvent plus ou moins confondus en un ensemble hétérogène sous influence. Alors que cette « planète » rêvait depuis 3 siècles (Révolution industrielle), ou même 5 siècles (Découverte de l’Amérique ?) que le Capitalisme (= 7 siècles seulement en regard des 50 siècles de « l’Economie de marché ») pouvait être en soi une fin (la Fin de l’Histoire, cf. Fukuyama ?) : le réveil paraît confusément problématique, sinon comateux en 2020.

Ce livre est aussi une sorte de manuel (Cf. table des matières p.j.) qui cible une intelligence « systémique », sur des informations vraisemblablement observées à la source et complétées par une bibliographie exhaustive (peu de sources spécifiquement chinoises toutefois), sous une sorte de banalité qui sait éviter le jargon.

 

Claude Albagli a d’abord le mérite d’éviter le malentendu idéologique – pour le moins – et sémantique qui « plombe » le récit de l’histoire chinoise, et plus particulièrement celle des dernières années, sous une fabuleuse chappe paradigmatique « totalitariste » qui mélange généralement à la fois l’empire millénaire, la république centenaire, le socialisme, le communisme, le maoïsme… Comment une connaissance approfondie de ce pays peut-elle démentir cette fable ? Comment interpréter de nos jours la place retentissante de la Chine dans la géopolitique contemporaine, tant dans l’imaginaire du commun des mortels qu’en ce qui concerne la vérité pratique ? Les nouvelles « routes de la soie » seraient-elles un « fiasco politico-financier » et un « rêve chinois » communiste, ou de façon plus raisonnable la conduite d’une nouvelle façon chinoise de « définir son identité » et « ses relations avec le monde … par son absence d’esprit de domination territoriale » comme l’écrit J-P. Raffarin ? A l’instar alors de Zhan Su, dans son l’avant-propos : « l’objet n’est pas de prédire mais d’inventorier » et comment « discerner les ressorts de cette dynamique » …

La place manque pour développer ici – comme le fait l’auteur – le processus, les enjeux, l’impact évalué par cet ouvrage à l’échelle géopolitique et la « toile », qui précise la cartographie de ces routes. Le scan de la table des matières ci-jointe donne suffisamment appétit de lecture. On soulignera donc seulement trois observations, qui nous viennent à l’esprit lorsque nous refermons ce livre.

 

En premier lieu la « carte » : la cartographie des « routes de la soie » (p. 29/31, Cf. cartographies), présente des territoires plus qu’elle ne les porte ; elle montre comment le gouvernement chinois les supporte… Et, comme tout carte, elle ne représente qu’un territoire imaginé. De façon générale, la carte d’une route ne saurait en effet représenter qu’un paysage quotidien principalement référencé aux usages pratiques ou imaginaires de chacun. Sur quelque route que ce soit, chacun pour se mouvoir en pleine connaissance de cause, est ainsi appelé d’abord à faire l’inventaire de tout ce que représente l’histoire et la géographie des territoires représentés. C’est seulement alors aux différentes échelles des temps et des espaces considérés que cet « inventaire », suggéré par Zhan Su, peut commencer…

Cl. Albagli propose (p. 113/116) « une nouvelle géographie mondiale avec ramifications routières, axes ferroviaires, réseaux de pipelines, points d’appui portuaires … » qui paraît se dérouler en rupture avec les caractéristiques du capital, de l’industrie et du marché, en un mot du colonialisme dominateur et militaire d’un autre temps (quoique pour ce qui est seulement de la France la guerre d’Algérie ne fut pas si lointaine…). Puis tout un chapitre bien documenté (cf. p. 147/191) dessine plus ou moins la structure spatiale, l’histoire et les usages des routes de la soie déroulées par le gouvernement chinois. On y comprend comment l’économie « socialiste » de marché à la chinoise s’est engagée depuis Deng Xiaoping dans un mouvement historique où « l’organisation de sa périphérie s’étend avec des dimensions planétaires » et que « cette approche réticulaire maille le globe et redonne à la Chine sa centralité ». Loin de l’impérialisme et des guerres de l’opium la centralité planétaire ne saurait plus du tout être d’extraction Occidentale et coloniale. Et l’Empire du Milieu ne saurait non plus être aujourd’hui le lieu du face-à-face statique mais fracassant, léthal – d’une puissance contre une autre (E/W ou N/S). L’Empire du Milieu c’est le milieu du monde (c.ad. le Tianxia, selon Confucius, c’est ce qui est sous le Ciel (Cf. R. Debray, Z.Tingyang, « Du Ciel à la Terre, la Chine et l’Occident), Ed. Les Arènes, 2014), c’est-à-dire le milieu d’une dynamique, pour ne pas dire en termes énergétiques – le cœur d’une « dynamo », en rapport avec le mouvement paradoxalement intemporel de la respiration des choses de la vie sous le ciel et de la biodiversité dans les écosystèmes. Symboliquement et surtout politiquement, le « tianxia » est un lieu significatif : celui de « l’harmonie » affichée au début des années 2 000 par le précédent Chef de l’Etat chinois Hu Jintao. Et Albagli s’en explique ainsi : « car la Chine ne peut être un simple horizon sans centre : la Chine doit être le Milieu du monde ! Ainsi par le biais de la notion de « tianxia » elle dispose d’un paradigme avec le maître mot d’harmonie, qu’elle serait en mesure de mettre en place. Les pressions de l’actualité écologique planétaire offrent une convergence systémique qui pourrait bien donner écho à cette pensée confucéenne. ».

Loin d’arguties philosophiques orientalistes, l’ouvrage d’Albagli démontre alors la cohérence de la pensée chinoise. Celle-ci, simultanément, épouse très rationnellement une logique millénaire, mais aussi que le Gouvernement chinois contemporain applique de façon pragmatique – à la nécessité socioéconomique, micro et macroéconomique de nourrir son marché intérieur, quelle que soit son ampleur, pour respirer de façon « systémique » tous azimuts (W/E/N/S) pour ne pas s’étouffer lui-même. Communément comment se projeter à l’extérieur pour respirer à l’intérieur ? Et il ne s’agit pas seulement d’un besoin de matières premières afin d’alimenter l’économie chinoise. La formulation terminologique « systémique » d’Albagli ouvre plus largement l’économie « socialiste » de marché sur l’anglicisme « les communs » – en français le « bien commun » et ici sur les écosystèmes. Il ne s’agit pas non plus de manifestation de commandement façon « soft power » qui se traduit généralement sous la forme d’un colonialisme prédateur et masqué. Albagli entend signifier par là qu’il s’agit aussi de la Voie (Réf. Confucius / Lao-Tseu) – sinon la route de la soie – à l’instar d’un développement économique et social multipolaire négocié sous le Ciel, comme au « Milieu du ciel », loin de quelque totalitarisme étouffant, mais pratiquement sous le ciel, la climatologie oblige !

 

Une deuxième observation à propos de cet ouvrage, c’est qu’il résume les grandes lignes de la construction sociale de l’ouverture économique depuis Deng Xiaoping. Celle-ci n’est pas nouvelle, elle s’apparente paradoxalement aux stratégies économiques frénétiquement exogènes du développement vers les investissements directs à l’étranger, qui ont saisi les pays occidentaux dans les années 1970, au détriment de leur développement endogène. Mais, ce qui paraît différent c’est que la stratégie chinoise, pour sa part, n’a jamais cessé de viser au contraire la réforme du développement endogène de la Chine.

L’ouvrage en donne un aperçu nuancé et informé dans l’actualité, qui désormais confine aux choses de la banque et de la monnaie : un chapitre presque entier y est consacré, notamment concernant les marché européens et africains.

Face aux conditionnalités imposées par le système bancaire occidental, les banques chinoises (la Banque de Chine, Exim-bank, la Banque pour l’agriculture, et la Banque pour la Construction) ont en effet construit une stratégie à plusieurs dimensions, apte à coordonner le développement intérieur et le développement extérieur. C’est-à-dire, pour résumer, que le Yuan, en tant que monnaie souveraine, peut jouer sa puissance d’investissement spécifique, face aux conditionnalités économiques, institutionnelle, sociales et politiques émanant des Etats et des investisseurs occidentaux. Conditionnalité contre conditionnalité, la politique chinoise de non-ingérence dans les affaires des pays concernés sacrifie certaines libertés plus collectives qu’individuelles – mais elle libère aussi la porte aux investissements endogènes en accompagnant les initiatives locales, publiques et privées. Certes la conséquence est une dette problématique parfois considérable alors contractée par les opérateurs publics et privés de ces pays. En raison de cette stratégie « L’effondrement des bourses occidentales avec la crise du coronavirus et la sortie apparemment plus précoce de la Chine de Pandémie élargissent les possibilités et les craintes des pays visés » (p.127) en Occident comme ailleurs. En effet Le libre-arbitre de chacun reste entier, mais le « pic » que nos sociétés ont alors à franchir parait insupportable aux détenteurs d’« actifs »  et aux opérateurs financiers. Ce « pic », pour les économistes, c’est le « momentum », c’est-à-dire le moment de crise, où les « actifs » boursiers, agro-industriels, immobiliers ou de sources improbables se préparent à changer radicalement de valeur. Or, devenu partie prenante de la finance « occidentale » (grâce à l’OMC), le Trésor chinois tiendrait en réserve environ plus 1.200 mille milliards de bons du trésor US. Et cela constitue une « cagnotte » possiblement antagoniste de celle « finance-là ». Cette cagnotte est propice à investissements réalisables tous azimuts, mais aussi, en cas de conflit, aucune règle ne parait apte à mesurer combien coûterait une soudaine dévalorisation de celle-ci, qui mettrait l’économie US elle-même en danger ! « La parité du Yuan et son acceptation en monnaie de réserve internationale forment les enjeux » qui pourraient être essentiels en vue d’une éventuelle sortie de crise, écrit alors Albagli. C’est-à-dire que derrière la question monétaire et « l’invention » des routes de la soie » c’est désormais la sauvegarde du multilatéralisme qui se joue. Et l’ouvrage conclue (Cf. p. 191…) « Une nouvelle mondialisation s’esquisse où la domination et la régulation américaine est confrontée à une organisation et à une réticulation sinisée de la planète. Basculement imminent ? Emergence fugitive ? Cohabitation aménagée ? Les ruses de l’Histoire ne permettent pas encore de trancher et les acteurs économiques confrontés à cette émergence fulgurante de la Chine positionnent cet impact de façon très diverse. ».

Troisièmement, l’auteur conclue (p.195…) rapidement en dernière analyse en poursuivant sa « pérégrination planétaire » sur un impact en 3 «  postures » géopolitiques référées à l’impact général de l’invention des routes de la soie. Posture de l’observation bienveillante envers une pensée chinoise efficiente alternative et divergente d’une rationalité occidentale post-hellénique (Cf. François Julien, « Les transformations silencieuses », Ed. Grasset, 2009). Posture d’un détricotage de la stratégie chinoise, autour de la légitimité universelle du marché, de la démocratie et des droits de l’homme (à ne pas confondre avec le libre-arbitre). Posture enfin du ressentiment et de la dénonciation afin de contrarier l’engouement (Cf. 195) que la Chine alimente en faveur de ses initiatives favorable à de nouvelles routes de la « soie ».

Engouements, alliances « tactiques, de recours ou de substitution », en regard de l’hégémonie US suscitent effectivement nombre d’adhésions, parfois confortées par de vieux relais migratoires, par des « diasporas » récentes ou encore consubstantielles de traditions plus anciennes relevant du bouddhisme ou de familiarités anthropologiques.

Albagli montre que la Chine occupe une place que dans la longue durée de l’Histoire que selon nous elle n’a jamais quitté. Et nous avons trouvé dans son livre bon nombre d’appréciations en phase avec notre récent ouvrage (Editions des Ponts-et-Chaussées, Paris, 2020, « Economie circulaire : déroute de la soie, déroute des empires »), dont la Chine est un des points focaux !

On doit alors s’interroger encore, sur un double non-dit de cet ouvrage : au-delà des « transformations silencieuses » qui porteraient alors sur l’interface culturel sino-hellénique entre « l’occident » et la Chine, à peine évoqué par l’auteur (Cf. ci-dessus F. Julien, Ouvrage cité). Cet ouvrage est en effet muet à propos de l’immense profondeur de l’anthropologie face aux puissantes vagues contemporaines de la démographie.

L’auteur cible abondamment les flux économiques et géopolitiques d’aujourd’hui. Mais son ouvrage – sauf une allusion à Zheng He (Cf. p. 185), grand navigateur chinois XVe siècle – n’aborde pas vraiment l’anthropologie silencieuse, du quasi-continent arabo moyen-oriental dont ces routes traversent la diversité du tissu social. Il évoque, certes la Porte, la portée pétrolière et marchande du Moyen-Orient. Mais on a regretté qu’au-delà du « ferroviaire » en Afrique via Mombassa, et du « collier de perles de l’Océan indien » (Carte 9 et carte 14). Ce quasi-continent historique soit à peine évoqué. Ce « continent » est pourtant constitutif d’une sorte de « centralité » moins technique, plus fluide, mais néanmoins plus durable et problématique que d’autres supposées « centralités » d’aujourd’hui : j’entends par là l’importance du foyer de la civilisation musulmane – parfois brûlot complexe – qui va des vastes territoires méditerranéens du sud, vers l’Indonésie, ou vers l’Asie centrale et le Taklamakan… Le point de vue anthropologique sur cet espace échappe à Albagli. Cet espace-là occupe pourtant une « centralité » – certes diffuse mais comme transcendante, depuis ailleurs et prolongée jusqu’à la majuscule du Ciel, grâce à la civilisation qu’elle abrite : celle-ci est située beaucoup plus entre Ciel et Terre que dans la matérialité de ses coordonnées géographiques. La civilisation musulmane gite si près du Ciel qu’elle voisine alors le « tianxia », évoqué ci-dessus !

N’est-ce pas au cœur de ces lieux symboliques que se trament aussi et depuis toujours à tout le moins depuis l’Hégire (an 622) pour la première, 11 siècles auparavant pour Confucius – les « ruses de l’Histoire » européenne et « occidentale » dont parle par ailleurs Albagli (p. 191) ?

Par exemple l’ancien commerce intra-asiatique (qui sait que la capitale impériale Kaifeng fut partie juive et reste en revanche – bien que faiblement – musulmane ?) porte encore les traces d’une anthropologie voyageuse depuis la Chine jusqu’à l’Austronésie via la Polynésie … : qui sait encore communément aujourd’hui que la langue et la culture swahilie ou proto swahilie, couvrent parfois depuis l’ère romaine du Ier siècle (Cf. « Le Périple d’Erythrée… », de Mauny Raymond) c’est-à-dire sur un territoire devenu musulman tissé jadis avec les grands marchands arabes de Zanzibar et de l’Afrique centrale jusqu’à la mer de Chine et au-delà. Dans la longue durée ce livre montre que d’une « toile » d’antan à la « toile » d’aujourd’hui il existe vraisemblablement des relations, des liens à ne pas négliger, qui ne sauraient se dénouer. Bien que parfois des péripéties anthropologiques improbables tissent des liens qui puissent se distendre… : sont-ce des « ruses » de l’Histoire, qui tendent et distendent quelquefois silencieusement mais violemment ces liens ?

L’ouvrage ne s’attarde pas non plus sur la démographie de la planère, notamment au Moyen-Orient et curieusement en Afrique que l’auteur connaît pourtant bien : cette démographie est passée d’environ 1,5 milliards d’habitants lors de la 1ère révolution chinoise, en 1912, à 7,5 milliards aujourd’hui, dont la Métropolisation qui en est engendrée – paraît ruiner les écosystèmes, pour n’enrichir que le capitalisme financier. Albagli conclue néanmoins sur une « convergence inattendue entre conceptions néo confucéennes et préoccupations écologistes » (p. 251) : cela n’a rien d’inattendu, quoi qu’il dise et ce n’est pas sans rapport avec l’anthropologie elle-même.

C’est pourquoi nous ne saurions conclure ce compte-rendu de lecture sans une dernière observation, qui ne saurait néanmoins pas réduire l’assez rare portée de cet ouvrage. Mais tout de même, paradoxalement, le Démographe, depuis Malthus à la fin du XIXe siècle et son compère l’Anthropologue au début du XXe, sont un peu effacés dans ce livre. Peut-être disparaissent-ils au profit du Politologue, comme si aujourd’hui, en relation étroite avec le numérique, avec l’intelligence artificielle, que sais-je … avec la fascination du Nombre, le « big data » paraissait effacer la « personne » avec son libre-arbitre, au profit du « collectif » qui paraîtrait alors fonctionner comme une assemblée de « zombies » !

En terminant ce livre et ce compte-rendu, il nous vient alors à l’esprit cet aphorisme de Marc Bloch, historien et résistant, qui écrivait en 1943, avant d’être fusillé par les nazis à Lyon en 1944 : « Le bon historien est comme l’Ogre de la légende : là où il flaire la chair humaine, il sait que c’est là son gibier… » (de mémoire dans « Le métier d’historien : apologie de l’histoire » M. Bloch/L. Febvre) ».

Mais c’est une autre Histoire... au risque d’un sarcasme, craignons alors que le vacarme vertigineux et dérisoire des élections US, et que le bruit des « routes de la soie » n’évoque malheureusement un jour plus ou moins proche une bien plus ancienne histoire de bruits de bottes et de chair à canon ! Le pire n’étant au demeurant jamais sûr.

 

Jean-Claude Lévy est un historien et géographe français spécialiste de l'économie circulaire et du développement durable.

 

 

LES ROUTES DE LA SOIE NE MÈNENT PAS OÙ L’ON CROIT

De Claude Albagli

 

Édition L’Harmattan

Date de publication : 7 octobre 2020

Broché - format : 15,5 x 24 cm • 276 pages

Livre papier : 28,50 € / Version numérique : 22,50 €

 

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