Entre tradition chinoise et street art, la fresque murale de l'artiste chinoise Satr s'affiche à Paris

1665587609271 Chine-info Hu Wenyan

L’artiste chinoise a transcendé les murs parisiens en dessinant cet été la fresque murale Nostalgia sur un immeuble en plein quartier asiatique de la capitale française. Entretien.

Avenue d'Ivry, 13e arrondissement de Paris. Une fresque murale flanque l’entrée du supermarché asiatique Tang Frères. Quatre couleurs, deux animaux et un arbre. L'œuvre intitulée Nostalgia, signée de l’artiste de street art chinoise Satr résume bien l’univers de la jeune graffeuse, entre la bestialité et la nature, l’Orient et l’Occident. Née en 1995 à Zhenjiang du Guangdong, Satr, Deng Cunxin de son vrai nom, fait aujourd’hui figure de proue parmi les artistes graffeurs en Chine. Avant de sublimer cet été le mur du quartier chinois à Paris, elle avait déjà posé ses empreintes sur les murs de nombreux pays tels que les États-Unis, l’Allemagne, la Russie, l’Italie… Entrée dans le monde du graffiti en 2013, elle parvient à trouver son propre style : une maîtrise de l’utilisation de la bombe ainsi que des couleurs transparentes pour dessiner des animaux marqués par une expressivité émotionnelle. Le résultat est inattendu. Les différentes nuances de noir, très présentes dans les créations de Satr, nous offrent la même fluidité et souplesse que l’on retrouve dans la calligraphie ou la peinture traditionnelle chinoise. Le fruit d’un hasard, selon l’artiste, comme la genèse de sa dernière œuvre parisienne.

L'œuvre intitulée Nostalgia, signée de l’artiste de street art chinoise Satr. © Satr

Comment est né le projet de la fresque murale de Paris ?

C’était un pur hasard. Pendant mon séjour en Europe de deux mois, j’ai passé notamment du temps entre l’Allemagne et la France pour réaliser des projets prévus de longue date. Mais fin juillet, Christian Guémy, alias C215, un des mes amis artistes vivant à Paris, m’a proposé de peindre une fresque murale dans la capitale française. Il a également contacté la mairie du 13e arrondissement pour les démarches administratives. Tout s’est passé très vite. Le mur choisi se trouve en plein quartier asiatique. Comme je suis spécialisée dans les dessins d'animaux, j’ai choisi de peindre un tigre de Sibérie, animal totem du Nord-Est de la Chine, qui se repose sous un pin en regardant au loin. Une hirondelle survole au-dessus de la tête du tigre, comme si elle est en train de transmettre les pensées de ce dernier vers son pays d'origine. L'œuvre s'intitule ainsi Nostalgia. Cela est également lié à mon état d'esprit du moment : vers la fin de mon voyage en Europe, la Chine me manquait beaucoup.  

La fresque murale réalisée par Satr à Bayreuth de l'Allemagne.© Satr

Quels étaient les défis pour la réalisation de ce projet spontané ?

Le premier défi reste la courte période de préparation. Je n'avais que cinq jours devant moi après confirmation du projet pour définir le thème et faire une ébauche. De plus, la mairie n'avait pas prévu, faute de temps, de nettoyer et de peindre le mur, j’ai donc dû le faire moi-même. Désemparée, j’ai lancé un appel à l’aide sur le réseau social chinois Xiaohongshu. À ma grande surprise, une étudiante chinoise qui habite dans le coin a vu mon poste et m'a proposé son aide en me servant d’interprète et d’assistante à mes côtés. C’est grâce aux aides des locaux que j’ai pu réaliser ce projet.

Le manque de matériel adéquat constituait un autre défi. J'avais à ma disposition un élévateur qui ne pouvait que se lever et descendre sans pouvoir prendre du recul. Or, pour réaliser une fresque murale de cette taille, il fallait que je puisse reculer de temps en temps pour vérifier l’avancée de mon travail. Je devais donc descendre de l’élévateur et monter dans l’immeuble en face à de nombreuses reprises pour être sûre que tout se passait comme je le voulais. Ce n’étaient que de petites incidences qui n’ont pas impacté la réalisation du projet. Sincèrement, je me suis sentie soulagée et heureuse d’avoir relevé ces défis. Les imprévues ont fini par devenir de belles surprises de rencontre, d’amitié et d’enrichissement. 

Satr en pleine création pour sa fresque murale sur le mur à Guangzhou.© Satr

Vous aimez sortir de votre zone de confort dans la création artistique. Qu’est-ce que vous avez fait de différent dans le projet parisien ?

C’est un tigre avec de très longues rayures. D’habitude, avec de la bombe, il est difficile de bien dessiner sur le mur des lignes continues aussi longues et fluides. Mais j’ai réussi le pari, donc pour moi, c’est déjà un dépassement de soi.

Comment vous êtes-vous orientée vers l’art urbain ?

Au lycée, je suis tombée par hasard sur une vidéo de MadC, une artiste de graffiti allemande. C'était la première fois que j’avais une idée précise sur cette forme artistique très particulière. De plus, pour moi, c'était cool de voir une femme artiste comme MadC, se faire un nom dans ce milieu. Elle s'est initiée, à 18 ans, dans le monde du street art. J’avais également débuté à 18 ans et je me suis dit que je pourrais peut-être devenir un jour une artiste aussi renommée qu'elle. Donc à l’université, je me suis mise à réaliser des graffiti, principalement des tags, sur mon temps libre. C’est un séjour à Taïwan en 2016, dans le cadre d’un programme d'échange universitaire, qui a complètement bouleversé ma vision de la création, marquant un tournant dans ma vie d’artiste. C’est aussi à Taïwan que j’ai assisté à de nombreux festivals de graffiti où étaient invités de nombreux artistes venant des quatre coins du monde. Je me suis rendue compte qu’à part des tags, il existait également d’autres formes de création, telles que les dessins d’animaux ou encore l’art abstrait. Un champ de possibles s’est ouvert pour moi. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à réfléchir sur mon identité artistique avant de définir mon univers de création autour des animaux. 

Comment avez-vous trouvé votre style, entre abstrait et concret, l'Orient et l'Occident ?

Avec les pinceaux, j’utilise souvent la technique de l'encre pulvérisée, ce qui est une source d'inspiration dans mon travail de street art. À l’origine, je voulais d'abord réaliser des peintures murales un brin transparentes et j’ai fini par trouver ce noir translucide. Depuis, je suis entrée dans une nouvelle phase de création. Si on met en parallèle les peintures shanshui et mes œuvres, je n'ai pas fait exprès d'intégrer les éléments traditionnels chinois dans mes dessins. Mais comme ma mère est calligraphe et artiste de la peinture traditionnelle chinoise,  j'ai été sans doute influencée inconsciemment par le courant chinois. Il est vrai aussi que je n'aime pas le plein et je laisse souvent un vide dans mes créations. C’est sans doute une des raisons pour laquelle on associe mes créations aux peintures shanshui.

La fresque murale dans une boutique Tesla à Shanghai © Satr

Comment définissez-vous l’art du graffiti ?

C’est une forme d’art par laquelle on peut s’exprimer librement. Au début, j’aimais bien réaliser des tags partout, comme si j’étais en train d’occuper la ville, pour attirer l’attention des habitants. Aujourd’hui, ce qui m’intéresse, c’est de réaliser une œuvre aboutie, comme celle réalisée à Paris, susceptible de susciter des échos auprès des spectateurs. Créer en pleine rue tout en échangeant avec les passants est l’essence de l’art de la rue. 

Quelle est la prochaine étape dans votre création de street art ?

J’aimerais pouvoir raconter des histoires à travers mes réalisations. Au lieu de dessiner un seul animal, j’aimerai davantage peindre une scène ou une situation dans laquelle les animaux et/ou les plantes interagissent avec leurs semblables.  

Où voir la fresque ? 

48 Avenue d’Ivry

75013 Paris

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